Werner Lambersy
ou le bazar de Werner
Né en 1941 à Anvers, Werner Lambersy est mort ce 18 octobre 2021. Les euphémismes mentent qui disent qu’il nous a quittés, qu’il a disparu, qu’il est disparu. Werner est mort. Il ne nous a pas quittés. Il n’a pas disparu.
Des quelques échanges que j’ai entretenus avec lui et avec son travail, je garde des souvenirs explosifs. Du titre du premier ouvrage que j’ai lu de lui, de l’aide -irremplaçable à mes yeux- qu’il avait apportée à la mise en place de l’anthologie de la poésie francophone (CRDP de Nice ed. 2013), de nos quelques dialogues, de l’histoire de sa vie, de son écriture que je qualifie en moi-même de flamboyante. À lui mon affection et mon admiration.
Werner Lambersy m’a envoyé en 2014 un recueil de plus de 400 aphorismes, calembours, proverbes, et autres calembredaine, Le Chêne de Dodone, ou le bazar de Werner. Je ne sais plus pour quelle raison ni dans quelle intention.
Je n’ai retrouvé ce titre dans aucune de ses bibliographies, et les amis communs que j’ai interrogés ne savent rien de ce recueil.
400 phases, que je compte mettre en ligne jusqu’en novembre 2022, à raison d’une trentaine par mois.
Je ne sais s’il aurait accepté cette proposition. Je supprimerai ce recueil du site si un.e ami.e proche me donne des raisons de le faire, ou s’il apparaît qu’un éditeur refuse qu’il apparaisse ici.
En attendant, j’ai pensé que c’était une bonne façon de lui rendre hommage, en faisant mentir les euphémismes.
En exergue :
« Le vent dans les peupliers. Le peuplier ne dit rien du vent.
Le vent ne dit rien du peuplier. Ils font ensemble un bruit
de vent dans les peupliers »
J.-P. Georges
À Pierre Vanderstappen
À la mémoire de Jean-Claude Pirotte
Rinçures ! disait Rimbaud
Les arts prennent froid par ici… » (Erasme)
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L’homme est un singe que l’idée de Dieu a rendu fou.
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Je n’ai pas pu mettre de mots sur l’amour, juste de l’amour sur les mots.
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Toutes les guerres sont coloniales, même les guerres d’indépendance.
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Goethe-moi ça, ça n’a Shiller de rien ; ça Nietzsche où et quand ça veut !
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Les dieux que nous avons inventés sont jaloux de la mort.
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Souvenez-vous qu’un rameur, même fort, ne soulève pas la mer.
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Le soir rassemble les cendres du soleil dans l’urne jamais pleine de la nuit.
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Dès le commencement, l’écriture, c’était déjà des clous.
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La poésie est le mode d’emploi de quelque chose encore à inventer.
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Le Temps n’est que le frémissement d’une surface sans profondeur.
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En art, le progrès n’a pas de sens, sinon de faire croire à un avenir.
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Pour un livre, le silence tient dans le blanc ; au cinéma, c’est le noir.
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Ce qui n’est pas nécessaire est inutile, l’inutile est le fonds du nécessaire.
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La théorie d’Einstein est notre Parthénon !
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Je me suis rendu compte que j’étais un tavernicole.
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Le virtuel n’est pas une illusion, seulement le faux nez de l’invisible.
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Le silence n’est jamais que le fantôme en blanc des obscurités du cri.
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Une langue où le mot dieu signifie « celui qui ne vient pas quand on l’appelle ».
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Pour la poésie, Malrieu utilisait du papier à en-tête volé au bureau du Concorde.
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Il m’arrivait d’écrire sur du papier Job, que je roulais autour du tabac à fumer.
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« Moi aussi, je pratique les barres parallèles : un bar à gauche, un bar à droite !
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Les roses vertes n’existent pas.
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Le goût du jaune chez Van Gogh vient de l’horreur des mines qu’il a connues.
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C’est encore rester maître du jeu que de faire gagner son adversaire.
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Les morts vont de plus en plus vite, seuls les feux rouges arrêtent les corbillards.
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J’attends le drone, dit-il ; il parlait du grand amour.
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Le leurre de l’absolu vient du grossissement de loupe par le néant.
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Trouvé en bibliothèque « La ferme des animaux » sous « roman merveilleux ».
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A mesure que l’univers s’agrandit, il semble que l’humanisme se rétrécisse.
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Notre civilisation est le signe que la consommation des restes a commencé.
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Lazare ressuscité n’a plus d’intérêt pour rien ; il se suicidera aussitôt.
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Le donneur de leçon vous refile toujours ce dont il croit n’avoir jamais besoin.
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Les traits de son visage faisaient penser à des flèches au curare amazonien.