ALAIN FREIXE
Cette collaboration entre Alain Freixe et Bruno Mendonça a été imprimée en 2012. Manque au Colophon la signature de Bruno Mendonça, la mort l’ayant rattrapé le jeudi 3 novembre 2011.
Le titre est emprunté à une phrase du poète Ossip Mandelstam.
Bruno Mendonça a enrichi l’ouvrage de quatre empreintes d’ardoises rehaussées à la main.
Un homme ce n’est rien, il faut que quelqu’un l’appelle. Bertold Brecht
1-
le scribe
a mesuré la corde
il a noué le cartouche
quand il est passé
par l’infini
nul n’a vu
qu’il gravait
du soleil un nom
sur de vieilles ardoises
sa dépouille
s’est enfoncée dans la nuit
de la pierre
dans le vent
implacable
d’un regard d’ange
s’est envolé le nom
musique et parfum
voix silencieuse
++++
2-
restent ces lampes
que tu as allumées
quand tu cherchais
à habiter la nuit
des ardoises
restent ces empreintes
où tu as écrit
ce nom
que tu ne voyais pas
que tu n’entendais pas
ce nom
venu du plus loin
aboli
entre les lettres
de l’autre nom
nom d’ici
nom de guerre
heaume et bouclier
++++
3-
nom glissé
depuis toujours
au fin fond de l’oubli
terres détachées
de la ligne du temps
parfum
au pays des souffles perdus
couleur
du vent dans les romarins
du jardin de derrière
musique
dans les feuilles de l’olivier de bohême
leur virage au noir
dans la rumeur de l’été
nom de ce que je ne sais pas
ne saurais pas
de ces gravures
que tu laisses
comme autant de cartouches
et pour quel pharaon
++++
4 -
quand la lumière te reconnaîtra
ne lui demande rien
regarde s’ouvrir le cartouche
porte-le à l’oreille
tu y entendras
comme un nom
marcher dans l’automne
avant de disparaître
dans le visage
que le vent agite
dans les miroirs
où enlacés
des lys font pont
et mains à l’arc-en-ciel
qui bat des paupières
sur la nuit
où les étoiles blessent
à coups redoublés
un monde à marée basse
++++
5-
passe les portes
du cartouche
déplie son jour
pour ouvrir à l’inconnu
du nom
de tes doigts
tu sépareras ses pétales
tu effileras leurs lames
pour que coule
le ruisseau
où ton ombre
ouvrira les yeux
sur les syllabes fantômes
d’un nom mûri
dans le désert de miroirs
défoncés par les lunes
noires ou blanches
qui sur l’échiquier du ciel
jouent à ne rien gagner
qu’un labyrinthe
fiction d’oubli
++++
6-
comment le reconnaître
ce nom
de ce côté-ci du monde
comment l’entendre
ce n’est qu’un nom
son étoffe est sans fibre
sans fil
il n’est pas dans les signes
gravés rehaussés
peut-être suspendu entre eux
comme ce qui déjà s’éloigne
++++
7-
le nom n’est pas là
l’empreinte de tes ardoises
les mots de mes poèmes
imagent
ce qui fait défaut
et ce qui faut vient
se donne à voir
à entendre
sur les bords de tes cartouches
dans les silences de mes poèmes
et cela ne vaut ni pour toi
ni pour moi
mais pour tous
++++
8-
on serait
sous le couvert de grands arbres
dans un sous-bois où souriraient
de sombres violettes
soudain rompant le silence
monterait le chant
d’un oiseau inconnu
passereau de l’âme
un instant renouée
ainsi passe le nom
dans le vent implacable
d’un regard d’ange
parfum et musique
voix silencieuse