MARCEL ALOCCO
Ces textes ont été rédigés entre mai 1995 et octobre 2003
Une courte contribution intitulée À l’écrivain figurait dans le « Dossier Michel Butor » publié par la revue Rémanences n°6 (Bédarieux, avril 1996). Une version un peu augmentée a été reprise par le magazine La Strada n°0 (Nice, septembre 1998) sous un nouveau titre, Parole donnée à la peinture. Ce texte constitue le quart du présent Butor Bibliothèque, dans lequel il apparaît en fragments modifiés, principalement dans la partie Parole donnée à la Peinture.
A l’écrivain…
Comme si nous vivions un temps de feuilletonistes, tandis que paraît le précédent, ils mettent dès le premier octobre en chantier un autre même roman, tenus par la carrière, croient-ils, de donner dans les formes le point final avant le 14 juillet. Michel Butor, il y a des lustres qu’il ne produit plus son nouveau roman périodique, même s’il contribua à monter les degrés qui donnèrent des majuscules à l’expression – c’était un jeune écriveur, en un temps où commettre deux récits romanesques en cinq ans semblait un excès de vitesse, il y a longtemps, à peine passé le milieu du siècle dernier, c’est dire !
Quelques-uns me diront inconséquent d’ironiser sur le roman alors que je me permets d’ainsi caractériser certains de mes derniers écrits. Tout est affaire de sens donné au mot : savoir si j’entends par roman un « roman-roman », récit avec faille entre le fictif et la réalité conduit par un « écrivain-dieu », ou abruptement un texte déployé sur une durée et qui serait en rupture de conventions, écrit donc, au sens premier, en langue vulgaire – c’est-à-dire actuelle. Cette dernière définition ferait de Michel de Montaigne un remarquable romancier d’aujourd’hui. Ou simplement un écrivain… Modestement il essayait.
Mais revenons à notre écran d’ordinateur. Main à la charrue ou à la plume, Michel Butor trace droit avec constance des sillons toujours parallèles, auxquels une obscure stratégie permet des croisements multiples. Vous croyez être sur le versant ici, vous êtes déjà sur la pente là-bas, renversé comme aux antipodes par un invisible ruban de Möbius. Rassurez-vous, je n’invente pas une nouvelle géométrie du chaos : je ne hasarde qu’une image parmi les possibles de ses multiples apparences. Je le soupçonne, lorsqu’il relit certains matins l’ouvrage de la veille, de s’étonner à la découverte d’être rendu en ce point. Sachant toujours où il veut atteindre son port, Michel Butor irait suivant son écriture comme le laboureur son attelage (s’il nous est permis de désigner ainsi un airbus performant) rêvant d’aboutir aux splendeurs d’un orient extrême et apercevant de très haut le patchwork de terres nouvelles, la rudesse d’un territoire neuf en train d’inventer ses frontières, découvrant, non sans effroi quelquefois, son encore sauvage Amérique.