FLORENCE SAINT-ROCH
Préparer le ciel est une forme de rendez-vous – des séquences écrites pas à pas en regard du Chemin de croix qui orne le déambulatoire de la cathédrale de Saint-Omer. Je ne sais pas bien ce qui se réalise dans ces segments, je veux dire : où est la quête spirituelle, où est le travail en poésie ? Toujours est-il que, au fil des passages, face aux quatorze stations figurées par ces bas-reliefs, quelque chose s’écrit. En accueillant ces textes « Au rendez-vous des amis », « Bribes en ligne » m’invite à poursuivre la recherche, à la rendre plus claire, plus lisible et donc plus partageable aussi. Nous amener à plus de clarté, n’est-ce pas là une des prérogatives de l’amitié ?
1.
Oracles et propagandes
Sursauts de mondes anciens
Les promesses comme les bouches
Cousues de fil blanc
La situation est sous contrôle
Voilà qui inquiète au lieu de rassurer
Il est grand temps de changer la donne
D’enrichir notre répertoire
De mettre à jour nos représentations
2.
Dans chaque regard un monde
Questions et contre-questions
Un chant que peut-être
On n’entend pas
Tandis qu’on passe à découvert
Quelque chose s’écrit
Sur les pierres sèches
Une phrase se forme
Incontinent se défait
Dans un poudroiement de poussière
3.
Notre pas plus âpre plus lent
De ce versant des choses
Tout a été dit
Que proposer encore
De quel côté se tient l’espoir
Au-delà plutôt qu’en deçà
Aval plutôt qu’amont
On ne sait pas toujours
De quoi ou de qui
On est l’expression
4.
On porte on tire on traîne
Le dos se tend s’arque-boute
À tout ce qui nous pèse
Le chemin indifférent
Dureté brûlante des pierres
Poids opaque arêtes et arrêts
Quand tous les coups sont permis
Où sont les chiens vraiment
Plus de combat qui vaille
Plus de règne à annoncer
5.
Dos tassé souffle court
Les jambes accablées
Au bord de céder
On amorce une pêche sans miracle
Et ça marche plutôt bien
Un bras suffit à affranchir
Ferme dispos il prend en charge
Avec vigueur empoigne le présent
6.
Les affaires reprennent on dirait
Échanges discussions
Le pourquoi des choses
Tenir la distance ou la durée
Quelle impression on aimerait faire
Quelle image on voudrait laisser
La chair et l’os dessinent des souvenirs
Mettent un visage sur un nom
7.
Lenteur de masse en mouvement
Au milieu de nulle part
Plus de portes ni de fenêtres
Les murs depuis longtemps évanouis
Passage à vide
Quelque chose comme une hébétude
Bredouille à bas bruit
Dans un arbre abattu
Combien de croix
8.
Quand on veut aller loin
Mieux vaut vérifier ses appuis
Rassembler ses forces
Savoir pour qui on est là
Dans le brouhaha
Certains gestes parlent clair
On peut désigner encore
À rebours des codes ordinaires
Créer du possible
Où chacun pense
Qu’il n’y en a pas
9.
Qui tombe réellement
On se demande
Le sol fait bloc
Ramassés compactés
On pense aux renards et à leurs tanières
Si le monde autour s’éteint
Faire venir le ciel dedans
10.
Tissus déchirés désordre bruyant
On plie les épaules
Devant nous le voile est épais
Les lignes manquent
Pour mieux s’en déprendre
On visite une dernière fois
Nos troubles et nos émois
Il faut être si seul si délié
Pour rejoindre les marges
11.
La croix éprouvante et folle
Les appétits canailles
L’esprit en morceaux
Puisque rien n’est jamais certain
Gages paris plans sur la comète
Le jeu comme souvent s’active
À l’arrière-plan
12.
On a tenté l’impossible geste
Et qu’en importe le prix
Les repères habituels s’évanouissent
Les clous nous arriment
À nos extrémités dernières
Aux autres les jours et les siècles
Voyages pérégrinations
Développements et commentaires
13.
Combien au fond
Se sont laissé toucher
Une part infime
Une poignée d’âmes sensibles
Ramèneront-ils un ciel serein
Ils ont du pain sur la planche
Cultiver la patience
Trouver le bon angle
Défatiguer les mots
14.
Plus rien n’encombre
On a quitté toutes les images
Une seule reste au fond
Ne pas oublier la soif
Et si le puits paraît asséché
Aller capter la source
En ses voies plus souterraines