RAPHAËL MONTICELLI
« Répétez, répétez (..) Il en restera toujours quelque chose. »
(« Le Bon Peintre, pp. 66 à 74.)
« Infini. Infini » (Victor H. « Nec Plus Ultra », v. 1.)
La continuité que l’on peut dégager des travaux issus de l’Idéogrammaire (1966), aux images de 1972, donne la clef du passage des toiles sur châssis aux toiles libres : il s’agit, là encore, de dépasser un problème, de refuser ce que l’on pourrait pompeusement nommer la problématique à la mode, de ne pas jouer le jeu, ou, si l’on préfère, de, tout bêtement, mettre les pieds dans le plat.
Les images dont usait Marcel Alocco sur les toiles de 1972, ne tenaient aucun compte des dimensions de l’image d’origine, et il est certain que le rapport entre leurs dimensions, le format de l’original et celui de la toile, était source d’ambiguïté. Apparemment close, la toile tendue sur châssis contient l’image d’une toile ou d’un signe clos dont les dimensions ne concordent jamais avec les siennes : il en résulte l’étrange incertitude de l’image ouverte d’un signe clos sur un support clos, et, de ce point de vue, le support rappelle davantage la référence que ne le fait l’image elle-même. En passant aux toiles sans châssis (dont la dimension peut devenir plus importante) Marcel Alocco pouvait se permettre de poser plus d’images sur une même toile — et ce fut d’abord en répétant simplement une image — mais il devait surtout traiter la toile de sorte que l’image y fût enfermée. Des diverses solutions possibles (travail au pinceau, empreintes, teinture, pulvérisation) la pulvérisation était sans doute la plus compatible à la fois avec la nécessité de conserver l’image et de se soumettre à l’absence de tension. Elle permettait du même coup de fondre une image aux limites peu nettes dans une surface colorée homogène ; l’ouverture passait ainsi de l’image à la toile.
Il serait toutefois mal venu de tenir Marcel Alocco pour un technicien ou un poète de la couleur. L’usage qu’il en fait est toujours demeuré dans les limites de la nécessité d’inscrire une différence. Aucune ne devant être privilégiée, le fond est simplement le résultat d’une juxtaposition des primaires et des complémentaires [4]. On ne se noie pas dans la couleur, on ne s’en grise pas ; on ne fait qu’accepter le lyrisme (autre piège) qui naît des diffusions à la limite entre deux couleurs. Les variations ou le chatoiement ne sont pas l’effet d’une superposition (comme on le voit chez Pincemin ou Dolla par exemple), mais le résultat d’une véritable combinatoire. La couleur n’étant là que pour jouer de sa différence avec son manque.
Quelles que soient les raisons pratiques que le peintre peut donner, alors même que le cadrage de l’image ne se pose plus comme problème, dans les grandes toiles flottantes la couleur enferme toujours plus l’image jusqu’à ce centre de la toile, optique autant que géométrique, autour duquel la peinture s’organise en quatre parties suivant l’axe des médianes : le résultat souffre encore de l’ambiguité d’une surface colorée qui s’étale et se donne l’illusion de l’illimité tout en concentrant ses manques, les images ; et les quelques travaux où l’image en bordure est brisée par la limite de la toile, laissant croire qu’elle peut ou doit se poursuivre, n’étaient que pirouettes face à cet autre problème plastique — celui des limites — que Marcel Alocco, tout comme bon nombre de peintres de la nouvelle génération, pense devoir se poser depuis que le châssis n’impose plus son rôle de compositeur. Et tout cela, en somme, n’est sans doute que métaphore...
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(4) Dans le même ordre d’idées voir, à partir de 1970, les rappels de couleur par la simple présence de rubans.