RAPHAËL MONTICELLI
« Image ? Image ? Qui c’est ça, Image ? » (Le mauvais peintre et le bon sauvage, p. 71.)
Sur les toiles d’Alocco il y a donc des images, images d’une toile de Matisse ou de Picasso, d’une peinture rupestre ou d’un panneau routier, de lettres ou de chiffres. Elles apparaissent, pêle-mêle, en empreintes ou en vide dans la couleur ; l’inventaire, possible, serait d’un intérêt douteux : ces images en appellent bien d’autres, elles ne semblent pas là pour elles-mêmes. Il y a des images prises indistinctement dans l’art ou les codes de communication, et rendues sans souci de fidélité ; images que chacun de nous reconnaît ou peut reconnaître parce que de chacune d’elles nous pouvons donner l’origine ; images qui sont pour nous la marque de notre culture commune, dans laquelle nous prenons parfois plaisir à nous reconnaître. Notre maître Jacques nous donne la preuve que l’origine ou le primitif ne l’intéressent pas, et il s’installe de plain-pied dans ce que chacun de nous voit ou peut voir chaque jour aujourd’hui sans que ce soit pour autant le quotidien tapageur — autre origine, autre primitivisme, pop celui-là.
Il y a, sur les toiles d’Alocco, des images, banales, comme nous en débordons communément, prises dans et pour leur banalité, aucunement exaltées, simplement le laissé pour compte d’un cache posé-là, tandis que la peinture sur la toile s’étend. Ainsi, à ceux qui prétendent s’intéresser au rapport immédiat à la peinture, Marcel Alocco rappelle que le rapport à la peinture, c’est aussi, et d’abord, le rapport à ce qui se voit ; et l’image n’est ni Image-de-l’Art, ni Image-de-la-Vie (autre « vieux problème spécifiquement artistique ») mais image de culture. Elle n’est pas ici ce qui est plastiquement « traité », mais ce qui rend possible un travail plastique. C’est en cela que nous nous heurtons à la peinture de Marcel Alocco, que nous la prenons de front : ses images sont moins des visions offertes que des pièges tendus : le peintre joue sur notre rapport à nos images, plus qu’il ne travaille son rapport à ses images...
La question qu’avec la plus grande évidence nous pose la peinture de Marcel Alocco concerne ce dans quoi s’inscrit une « pratique » de la peinture, ce sur quoi elle repose ; et il l’introduit par cette autre, peu courante, de ce qui s’inscrit par et sur une toile, à considérer sans doute dans la distance qui sépare le « signe » d’origine de ce qu’il devient sur la toile d’Alocco. Ce que l’image laisse supposer c’est qu’elle est autant présence qu’absence possible, image sur laquelle interfère un processus plastique derrière lequel elle finit par s’effacer. Ni inspiratrices ni symboliques, images qui existent dans la « vision » de chacun — images d’images qui ont déjà servi — et qui s’estompent dans nos mémoires comme elles le font, ombres plutôt qu’images, lors de leur inscription sur la toile. Même quand, par empreinte, la couleur les divise, les images dont Marcel Alocco use (ou qu’il use) n’apparaissent qu’en négatif du jeu des couleurs pulvérisées ; elles ne s’imposent sur la toile que comme manque, résidu ou déchet, tout en laissant croire qu’elles jouent leur propre jeu entre image vide et image colorée.