MARTIN MIGUEL
Le vernissage de l’exposition de Martin Miguel au Musée archéologique de Terra Amata, à Nice, a eu lieu le vendredi 19 juin 2021. En raison de la situation sanitaire, il s’est déroulé par petits groupes durant toute l’après-midi. Pour conclure ces présentations, Miguel a repris l’ensemble de ses discussions de l’après-midi par l’allocution ci-dessous.
Cela fait 53 ans que je patauge dans la peinture alors que je n’aime pas me salir les doigts. Mais bon...la peinture a surtout la couleur de la pensée, il faut se méfier de ses habits clinquants et sa nudité n’est pas permise à tous, sans effort ni délicatesse.
Je me suis lancé, en cette année emblématique de révolte, en 1968, où je rêvais de farcir les châssis de vers xylophages afin que les tableaux s’écroulent... je me suis lancé, à proposer une autre vision ou utilisation du tableau.
À vrai dire, un peu avant, car à l’école des arts décoratifs de Nice, je me posais cette question apparemment stupide : comment rendre la profondeur avec une seule couleur ? Et bien, je n’ai cessé de répondre à cette question, par affinages successifs et selon, au moins, deux chemins. Le premier, est que, évidemment, sur un espace prédéterminé comme la toile tendu sur châssis, cela ne m’était pas possible, je ne voyais pas comment faire. Il fallait donc sortir de cet enclos de platitudes et de profondeurs illusoires.
Je l’ai fait en faisant participer l’espace physique, volumétrique environnant, c’est à dire, le lieu même où étaient posés mes objets. On peut le voir encore ici dans ces pièces exposées.
Le deuxième a été de considérer la peinture, beaucoup plus par sa masse que par sa couleur. La masse a une profondeur, bien visible et sans doute, d’autres, moins visible. Vous comprendrez que l’utilisation de ciments et de papiers mâchés, que l’on voit ici se rattache à cette option. C’est que j’ai considéré le ciment ou le béton ou le papier mâché comme de la peinture. Ils en ont les caractéristiques, d’abord de mollesse, puis de rigidité que leur donne le temps et j’ai joué beaucoup avec cela. Les formes qui en ont émergées, généralement, sont les résultats de leurs manipulations et confrontations.
Mais vous voyez ici aussi, des figures. Et peut-être cachent-elles ceci où cela si l’on ne tient compte que d’elles. C’est dire qu’il y a eu, dans mon travail, à un moment donné, une insertion, de dessins préconçus, doublement préconçus. Je ne vais pas vous raconter le fil un peu long et tortueux qui m’a amené à ces figures préhistoriques et qui me vaut d’être ici.
Simplement vous dire que cela vient de l’utilisation du cordeau du maçon, élément de dessin, de géométrisation, et de référence dans la construction du bâti. Ce que je souhaite vous dire, surtout, c’est que vous avez ici, un phénomène d’inversion. Dans les procédures habituelles qui nous viennent du fin fond de notre histoire, on a d’abord une paroi, un mur, une tablette de bois, un papier, bref un support sur lesquels vont se déposer dessins et peintures. Dans ce que vous regardez là… oui il y a un support, mais…il a disparu. Il y a surtout une matrice, ce dessin en fil de fer qui va permettre que quelque chose advienne. Elle est première, et se constitue par elle, un espace, un espace matériel, coloré, imaginaire, spirituel, conceptuel ou tout ce que vous voulez de plus. Je crois, un espace de peinture, même si ce mot est insuffisant, au moins un objet, qui diffuse et infuse de la pensée et de la sensibilité.
Le choix de figures du paléolithique supérieur consiste, pour moi, à mettre en parallèle ou en opposition deux origines, l’une supposée, l’autre effective. Origines qui par ailleurs, ont toujours lieu, dans le présent avant d’être pérennisées, d’où le titre de cette exposition : Maintenant, l’origine. Cela, cependant, peut paraître, ou pourra paraître un peu prétentieux, car à la notion d’origine se relie, sans doute, la notion de nouveauté. L’origine que je crois mienne, donc, n’est pas forcément nouvelle, le temps seul, et les futurs archéologues sauront le signifier.