RAPHAËL MONTICELLI
Nous sommes en mai 2021... Je reçois un courriel de Marcel Alocco. Il a retrouvé dans ses archives un tapuscrit sur papier pelure (une copie, donc), signé de moi et daté de mai 1974... Ni lui ni moi n’en avions souvenir, et nous ne savons pas même si ce texte a été publié. Le voici donc, tout juste sorti de son coin de cave, tel qu’il était il y a près de cinquante ans.
C’est — pense-t-on - quelque retour de Matisse ou de Lascaux, un rappel de La Chine ou du code de la route qui est proposé, et il ne reste rien de ce qui fait vraiment Matisse, Lascaux, l’écriture chinoise, le code de la route ; le peintre qui choisit les images, aussi diverses que possible, dans des cultures aussi éloignées que possible par le temps et l’espace, dans des domaines aussi différents que la peinture, l’écriture ou la signalisation, semble aller à l’encontre de 1a proposition d’un musée imaginaire, et de la recherche de la spécificité picturale. C’est de l’image qu’il semble être question, elle est en fait en question.
Il s’agit d’images d’une culture quand la culture n’est plus que banale reconnaissance d’un objet à travers son ombre... Ombres d’une culture nécessairement au passé.
Les images se vident et ne sont plus que le nouveau prétexte du travail que Marcel Alocco poursuit depuis dix ans bientôt : les « bandes-objets » de 1965 détournaient l’objet de sa fonction en l’inscrivant dans une « anecdote » qui délaissait - non sans ambiguïté - les mots pour les choses ; le projet de « l’idéogrammaire » tentait de résoudre cette ambiguïté et proposait des traces plastiques qui fussent des signifiants combinables ; le travail devait ensuite porter sur un seul de ces « signifiants plastiques » par la présentation de ses modifications lors du traitement plastique de ses répétitions. On voit comment la production actuelle de Marcel Alocco s’inscrit dans cette recherche ; aux images-signes d’Alocco se substituent des images-signes d’une culture qui est aussi celle d’Alocco, et que le peintre met en question par l’ambiguïté, ou la gêne, d’une reconnaissance trop facile.
L’art est une réalité sociale parmi d’autres. « L’amour de l’art », c’est une certaine façon de comprendre, vivre, rêver cette réalité. Les travaux d’images de Marcel Alocco sont au lieu de rencontre entre le rêve de cette réalité (la « culture » ) et une pratique sociale (la « peinture »)... La peinture, en fond, cache et dévoile chaque image, et, ce faisant, se cache et se dévoile. Ni but, ni objet de recherche, la peinture est, pour Marcel Alocco, moyen de traiter un rapport imaginaire au savoir.
Au bout du compte, il n’est pas possible de présenter Marcel Alocco uniquement comme un peintre : outre la peinture, ce qui se travaille ici touche parfois au langage ; aussi les analyses actuelles n’ont-elles guère de prise sur cette production dont l’étude permettrait sans doute d’introduire à une connaissance des rapports entre langage et vision.