D’abord trouver un titre. Journal de bord. Comme sur le bord dans l’ombre d’un doute. Comme rythme ample d’une marche quotidienne qui rêve danse. Ses impressions de nuit.
Journal : du premier jour au final. Contraction efficace des deux mots en un seul pour résumer la marche d’une vie sur le bord. Parce que la mer et le bruit des vagues. Comme on imagine l’océan du cœur. Avec son sentier des douaniers. Pour la contrebande. Avec escarpe et contrescarpe : des fossés quand il faut fortifier.
Au bord. Sans la tentation de plonger, de se jeter, de nager, de s’écraser non. Au bord seulement. Méditation et regard. Avec le ressac dans la poitrine.
Au bord certes mais dans un cas plus personnel : ras-bord. Un plein parfait. Avec ses secrets qui pourraient s’échapper. S’enfuir. Déborder n’est pas couler mais désir de se reposer. Qui me l’a dit : le tranchant du rocher. Il maintient l’aigu du souvenir tandis que l’élan vouerait le journal à l’oubli.
Car de bord, au bord, sur le bord, près du bord, plus tous les rebords du monde destinés à me signifier la marge. Cinq petits carreaux à gauche, trois à droite. Un évidement de fait que la pensée n’avait pas prévu. Les déclinaisons du mot vous assaillent par bâbord et tribord. Suffixes et préfixes sont complices…. Et quoi se sent sabordé ? Le mal de vivre ennuagé se reflète dans l’eau étale. Pas de vie sans avaries.
Qui dit bord dit creux dit ornière dit sillon. Monts et vaux à l’échelle du petit comme du grand. Petit bord et grand bord sont dans un bateau, un avion, une fusée… Welcome on board. Cascade dans la tête à cause de tous les étages. Quel désordre : ça se dore, ça se tord, ça se mord langue et queue mais bien portant. N’existe pas de maladie des bords. Rien de vénériel ! et la tendresse alors ? Bien centrée au milieu dans le mille qui envoie ses ondulations très attendues loin loin loin très très loin qu’elle en ignore quels bords en récoltera les ricochets.
Sur l’onde du dernier navigue le visage de Niels Bohr : père des réactions nucléaires et de la mécanique quantique on lui doit un modèle du noyau atomique. Portrait incomplet s’il en est.
Aujourd’hui le bord est rond. Hier il était rugueux. Demain il sera plage, étalé de tout son écrasement. Effondré sous le poids du sable. Teinte claire. Bord effrangé de l’écume et les gouttes deviendront sel. Pas de démonstratif, l’index plié au creux de la main. L’avenir pas tracé. Quelque chose tient bon. Tenté de dire dans le fond. Mais il faut comprendre bord et sa petite chanson.
Surplomb pour voir du neuf. Comme au temps vieux bon. Comme un roulé boulé frisé d’enfance quand tout avance et progresse, fait reculer les bords menaçants qui surveillent. On n’arrête pas cet avant, qui sait s’il monte ou descend et pourquoi faudrait-il le déterminer.
Monobord. Monocorde. Ligne de force. Ligne de faim. De bord à bond la vie. Les déformations d’une lettre selon les courants, les élans. Aucun bord ne saurait éviter la contamination. Les sauts d’énergie s’y connaissent pour envoyer vibrer les bords dans un au-delà des couches et des strates et des épaisseurs et des reliefs … no more …
Getting bored. Oui évidemment : Guy ! Et d’autres encore dans ce casting à la fois situationniste et barbare … bored… ennuyée-fatiguée-lasse…
Bord mou. Bord raide. Rigidité ou mollesse et alternativement tout se transforme rien ne se crée. Quant à la perte, chercher les repères et vous m’en reparlerez. En termes de combles c’est un record de bords.
Bord-dur. Noir. Trait de clôture. Autant dire cadre : vous êtes cernés (sinon filmés). Bords aux angles droits. On s’y cogne comme aux coins de tables dans le mouvement de se redresser.
Bords : au long des. Déambuler. Chercher les ponts. Imaginer les voûtes. Eprouver leurs surfaces d’écran.
Écran. Surface. Repoussent. Les mains de ma mère. Blanches de craie sinon occupées au tricot, à coudre, à cuisiner… Ma mère… quand caresser ? Ne sait pas. Son bord fragile à ma mère.
En tirer beaucoup. Des va et vient slalomés des parcours en souplesse dans la fluidité de mer ambiante. Bosses de frontières rudimentaires et temporaires. Le sillage où semer d’un geste auguste des paroles. Sans bouteilles. À la mère.
Bords. Peut s’adresser aux lèvres. Aux commissures, à leurs ourlets, leurs pulpes. À tâtons pour un baiser avant de s’endormir. Le délice du visage fait rituel.
De border à broder tout un art de fils à remailler depuis l’effiloché de l’enfance jusqu’à l’opulence ajoutée au tissu vieillissant.
Bords encombrent. Aux mains à la vue sont déchirures. Brisures. Où palpitent lumières et sang — les rythmes intimes. Bord si près de la mort.
De la mer. Bordeaux. Autrement dit un port. Le bord-e-lais. Le bord des Landes et des marais. L’estuaire. Se décline dans toutes les langues : Bourdel Bordele. Burdeos, Bordeos. Bordéus. Se traduit dans toutes les langues : waterside ou riverside, bordo dell’acqua, lungomare. L’eau. Apă. Trica (tristsa). Tū. Mni. Le bord. Saprah. Kraj voda.
À la mer sans bouteille : l’espoir. A-t-il un bord ? S’y agripper pour mieux rêver. Y tisser une toile d’araignée pour les capturer. Les rêves sont aux bords ce que les larmes sont aux paupières. Un univers de cils, un infini de si …. Les conditions et les statuts. Identités de bords à n’en plus pouvoir plus stocker les définitions parties à la dérive vers des ailleurs … tentation de l’accueil et raisons d’état… Alors se demander si l’idée de rôder prévaut … Comme un bord partirait à la dérobée il n’existerait qu’en songe et se prendrait pour une tangente et se … pendrait à une tranchante … sur le point de… au point du …
Jour. Plus « al ». L’élément formateur d’adjectif. Formant avec ses bords. Pour rassembler ce qui concerne. Qui relatif à. Qui appartient à. Se rapporte : dans un journal de bord. En propre.
Alors rouge sur le papier. Un pigment. Une matérialité de couleur. Comme une goutte. Tension de surface sa force. Écrit. D’abord.