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FREIBACH HANS

Les "beaux chemins" de Philippe Jaccottet
© Hans Freibach , Alain Freixe , Jean-Marie Barnaud
Publication en ligne : 26 février 2021
/ article dans revue
Ecrivain(s) : Freixe (site) , Barnaud

Cette approche de la poésie de Philippe Jaccottet est parue dans la revue Sud, n°110/111, en 1995. Elle est signée Hans Freibach, dont l’identité demande quelques précisions.
C’est vers la fin des années 80 que Jean-Marie Barnaud et Alain Freixe dont le travail autour de la poésie et de l’écriture commence - il se poursuit toujours aujourd’hui ! - dès le début des années 70, décident de donner naissance à Hans Freibach. On entendra dans ce nom résonner leurs deux noms et l’on pourra voir couler cette « libre rivière » qui ne s’attardera jamais aux reflets de ses ponts, comme l’écrivait René Char. Jean-Marie Barnaud pourra écrire à ce sujet : « Hans Freibach » n’est pas seulement le pseudonyme auquel Jean-Marie Barnaud et Alain Freixe ont recours pour signer certains articles critiques écrits en commun, il est avant tout l’élément clef de leur mythologie personnelle à travers laquelle prend figure leur amitié.

Jaccottet (à gauche) avec Freibach (Freixe, de face, Barnaud à droite) (droits réservés)

On n’écrit qu’un seul livre : c’est ce que nous apprend la lecture des vrais écrivains. Non pas qu’ils répètent, bien sûr. Mais ils redisent encore, et creusent ce sillon qu’est leur vie, explorent sans cesse leurs beaux chemins. Sont fidèles.
Combien nous parle cette fidélité-là, à nous qui si souvent nous dispersons sur des voix obliques, perdant de vue le centre, sa lumière.
Je retrouve, dans Après beaucoup d’années, j’entends à nouveau, la voix de Philippe Jaccottet, et cette force qui l’anime, persistante, malgré les alarmes de l’Histoire, les catastrophes, l’effondrement de tant de choses autour de nous. Malgré aussi de nouvelles morts toutes proches. Et je note au passage comme chacun de ses livres a la gravité d’un livre de deuil, d’un "tombeau". Tant il est vrai aussi que les morts ne cessent de nous faire cortège, et que leur nombre s’accroît à mesure que nous avançons.
J’entends, oui, cette voix à nouveau.
Et il me semble qu’elle parle ici sur un ton plus confiant. Ainsi des fleurs. Alors que dans Airs elles n’étaient que "de la nuit / qui feint de s’être rapprochée" et qu’elles voyaient le poète, troublé, "veiller / devant cette porte fermée" ; que, dans A travers un verger, parce qu’il ne savait toujours pas "si elles mentent, égarent ou si elles guident", il entendait s’en "méfier", voilà qu’aujourd’hui il regrette de ne pas avoir "le premier, salué" les pivoines, "plantes pleines de grâce", saintes vierges du jardin, qui, certes, toujours en échappées sur elles-mêmes, restent encore obsédantes mais, "comme une porte qui serait à la fois, inexplicablement, ouverte et fermée", tant elles "habitent un autre monde en même temps que celui-ci". Les fleurs, maintenant, font passage ; et c’est comme si nous parvenaient les signes de leur "leçon", antérieure à tout savoir, et qu’en confiance il nous faut écouter. Telle celle de "la passe-rose" : "Que la rose du chant / brasille de plus en plus haut / comme en défi à la rouille des feuilles".
Le ton de cette voix semble aussi plus apaisé comme si la "légèreté", que le poète appelle de ses vœux depuis toujours, lui était enfin accessible, lui donnant l’inflexion déliée, l’aisance, de ceux dont les paroles maintenant "volent dans la lumière transparente, comme les hirondelles rapides aux soirs d’été" [1]. Paroles qui, "malgré l’avenir presque entièrement obscur" et "le poids du malheur", s’opposent avec plus de confiance qu’avant au nihilisme, à la tristesse qu’il peint sur les visages des hommes de ce temps. Elles affirment "qu’il n’y a pas au monde que du malheur", que, devant nous, persiste toujours, indubitable, dans le cours même du monde, cette lumière "bien qu’invisible dans le bleu du ciel / aussi sûre que chose au monde que l’on touche", lumière "qu’il faut à tout prix maintenir" et "transmettre (...) comme une étincelle ou une chaleur".

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La fidélité que j’évoquais, on la retrouve d’abord dans la posture du voya-geur, puisque c’est ainsi que se présente le poète. Non pas voyageur au sens rimbaldien du terme, avec toute la démesure que cela implique, et ce goût pour l’illimité qui mène à tout risquer. Mais plutôt voyageur, en effet, sur des "chemins", un peu à l’écart de la foule, certes, mais balisés, déroulant leurs lacets autour de lieux dont l’espace est ordonné ; avec la présence, à portée de regard, de la montagne, de ses cols qui vous appellent, de ses eaux messagères.
Lieux vers quoi, dans ce livre, on revient, en "touriste". Lieux d’enfance, donc : paysages suisses, paysages d’alpages, qu’il y a toujours moyen d’aborder de façon humaine. Lieux qui reviennent de nuit, comme ce "Hameau", qui ne manque pas d’évoquer "Beauregard", à la faveur d’un de "ces rêves" de chaude intimité (autant d’ images abandonnées sur les jusants du réveil, qui conduisent "au bord des larmes" comme aux premiers mots du poème, pour tenter de rassembler les fragments de ce secret, source de l’émotion, qui s’est retiré du rivage, mais dont les sables gardent, lumineuses encore, les traces ). Lieux humbles aussi, sentier que l’on gravit comme au col de Larche, vergers que l’on longe, combes et prairies qu’on "traverse" moins qu’elles ne nous "traversent", paysages que l’on arpente.
Jaccottet l’arpenteur ? Ce serait plutôt cela. Celui qui prend la mesure de sa terre. Jaccottet le géomètre ? le géographe aussi bien, celui qui, écrivant avec justesse sa terre, écrit la terre, notre patrie.
Et combien de titres antérieurs reviennent en mémoire, qui balisent aussi ce cadastre : A travers un verger, La promenade sous les arbres bien sûr, ou tels poèmes de l’Effraie, de l’Ignorant : par exemple, la "chambre du voyageur, et sa "fenêtre", elles sont déjà dans la si belle "Lettre du vingt-six juin" [2], mais plutôt comme les signes d’une angoisse. Voyager alors, en effet, peut-être à cause de l’instabilité qu’impliquait le mouvement, l’incapacité de se poser là ( "Il y a si longtemps que je cherche à vivre ici / dans cette chambre que je fais semblant d’aimer" [3]), était aussi une souffrance : "Et vous ne verriez plus à travers ses paroles / qu’une chambre de voyageur, une fenêtre / où la buée des larmes voile un bois brisé de pluie...".
Tandis que le retour au paysage d’enfance, dans Après beaucoup d’années, apaise. Sans doute le regard s’est-il épuré : dans cette même "Lettre du vingt-six juin", n’appelait-on pas de ses vœux l’écroulement de tous ces "illusoires murs que le vent pousse", et dont plus aucun maintenant n’"arrête le regard" ?
Par exemple encore, le visage tutélaire et aimant, que les yeux de l’enfant ont fixé pour toujours dans une attitude surannée, cette "très vieille dame d’un autre temps", et qui rappelle celle dont "le travail du poète [4] évoque tendrement l’absence...Ou encore tel regard de femme aimée.
Tant d’êtres et de choses, tant de paysages qui font ainsi retour dans ce dernier livre, tous éléments d’un espace si fort intériorisé, tellement passé du côté de l’invisible qui nous habite, qu’ils sont devenus les témoins de cette voix, les signes sensibles de sa présence.
Oui, il y a bien des éléments récurrents dans le paysage jaccottéen. Leur permanence rassure. Fidèlement le promeneur y revient, ou les évoque. Il leur donne un abri dans le poème, ou dans ces petites séquences en prose qui sont comme autant de voies de traverse.
Oui, tout cela constitue bien un lieu, c’est-à-dire cet espace ordonné autour d’un centre tant recherché depuis qu’il existe, chez ce poète, une "pensée des lieux", depuis l’origine sans doute.
Or, qu’est-ce qu’un lieu ? A la question posée dans Paysages avec figures absentes et à laquelle ce livre répondait aussi en disant qu’il ne s’en trouvait plus - sinon épars, éclatés, en parcelles, à peine quelques traces - Après beaucoup d’années donne une réponse plus heureuse : près des eaux de la Sauve, on éprouve ce sentiment qu’ici "tout est lié, tout se tient, tout tient ensemble" ; qu’ici tout convient à tout. Et même si le temps s’écoule toujours, rien ne tremble, rien ne se trouble, rien ne semble se dissiper. Ici, tout est en ordre : "debout", "ferme et clair", "calme", "comme au premier jour (...) comme il y a très longtemps". Cosmos retrouvé. Beauté revenue sans qu’il soit "besoin d’aller au-delà" de ce "moment du jour et de la sai¬son", où nous voilà comme "suspendus", arrêtés, "en esprit, pour un instant, pour toujours". Et c’est comme si l’on vivait à la naissance des jours. Renouant avec le rêve d’Eve, avant que ne l’ait terni l’insupportable pesanteur.
Plus heureuse, la réponse paraît aussi plus assurée d’elle-même, comme débarrassée de ses doutes. Réponse "héroïque", comme l’est le paysage du col de Larche, réponse qui ose "en cette fin de millénaire", "en un temps de fin du monde", affirmer qu’"on n’est pas absolument tenu de n’accorder de réalité qu’à l’ignoble". Jaccottet ne s’interroge plus comme il le faisait dans A la lumière d’hiver : "tout cela qui me revient encore - peu souvent - / n’est-il que rêve, ou dans le rêve / y-a-t-il un reflet qu’il faut préserver ?". Ici, près des eaux du Lez, de la Sauve, ou près de celles qui dévalent les pentes du col de Larche, il affirme : "ce lieu et ce moment ne sont pas un rêve".
Fugitives, les eaux ? Eboulées, les ruines ? Rien, dit Jaccottet, ne parle de perte, ni de ruines, "rien ne parle d’exil". L’instant fait asile, ce lieu sa¬cré où la sécurité était, dans l’antiquité, garantie. L’instant rédime le monde. Chaque chose étant reliée aux autres, le voyageur se trouve lui-même relié au tout. Aussi est-il dans cet "espace immense comme dans une maison qui (l’) accueille sans (l’) enfermer". Montagne - maison, Jaccottet en faisait déjà dans La semaison l’image même de "la limite heureuse, (...) celle qui n’enferme pas", celle qui sait ménager des passages, des ouvertures.
On le savait, Jaccottet aime la lumière. Mais n’avait-on pas fini par oublier qu’il aimait aussi sa "puissance inouïe" ? Ne disait-on pas, le plus souvent, qu’il n’était à l’aise que dans les clairs-obscurs, la clarté indécise des buées, que la lumière aimée était celle qui déréalisait les choses, qui les délivrait de leur consistance comme pour un envol, ou celle qui semblait émaner d’elles comme par transparence ? On le disait et, sans doute, avait-on raison. Mais voilà qu’avec Après beaucoup d’années revient une lumière "aussi ferme, aussi dure, aussi éclatante que les roches". Lumière cosmogénique, lumière qui bâtit le lieu. C’est elle qui tient tout ensemble par "des nœuds de pierre". C’est elle qui nouant les choses entre elles, d’une part, nous noue à elles, dans l’harmonie d’une évidence retrouvée, et d’autre part, dénoue les fruits de la petitesse de notre moi imagi¬naire, ombre toujours préoccupée d’elle-même : "maladie, ou faiblesse, ou lâcheté". A cette lumière qui "guérit", "on peut s’appuyer, s’adosser" et se remettre debout comme "sur un bastion". Non pas évidemment pour occuper une position de maîtrise mais pour être comme dans un lieu impossible, à la fois ouvert et fermé, où l’on vivra mieux parce que dans cette position juste, on "rend au regard son plus haut objet" [5]. Et quel est-il cet objet sinon cette coïncidence entre la merveille et l’énigme, cet invisible qui, touchant en nous ce qui nous est le plus intérieur et le plus dérobé à la fois, et le faisant vibrer, ouvre en nous "ces beaux chemins" où l’on va, ailes aux pieds, comme à contremont, vers ce col d’où semble monter, impérieusement, une lumière toujours plus vive. Loin de nous éloigner de la vie, "ces beaux chemins" nous y ramènent. Il en va ici comme de toute conversion. Rien n’a changé et tout a changé. C’est toujours de notre monde dont il s’agit, mais vu autrement, vu "à partir de ce qui ne peut se voir", vu à partir de ce à quoi nous sommes devenus si aveugles, nous qui vivons dans l’aveuglement, nous qui ne voulons plus voir. Jamais peut-être l’affirmation de Simone Weil que Jaccottet aime à citer [6] n’a été plus vraie : "le regard est ce qui sauve" [7]

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Or, regarder, ce n’est pas chercher à saisir, encore moins à posséder. Re-garder, c’est plutôt être surpris, être saisi par cela même qui est insaisissable, par ce qui vient quand on laisse venir une de ces images qui nous touche "avant toute pensée, comme un astre dans une étable" [8], images, "navettes ou anges de l’être" [9] . Alors le regard s’ouvre jusqu’à accueillir l’intimité des êtres - et ce sera par exemple avec la fraîcheur qu’on sent exister au plus profond du ciel - pour un contact aussi fort qu’avec "toute chose au monde que l’on touche".
La vue est le sens jaccottéen par excellence. Non pas pour sa dimension intellectuelle, où se crispe toute attention dans sa volonté d’aborder et de rejoindre les choses, mais parce que d’abord, déliée d’elle-même, se tenant comme en suspens, en une patiente attente, elle nous situe dans une distance heureuse où le monde peut être contemplé, caressé du regard, comme si le corps ne pouvait exulter, se satisfaire, participer vraiment, que dans la distance.
Et n’est-ce pas ce que pourrait dire aussi un peintre, que pour "saisir" les pivoines, "il faut s’en éloigner" ; que telle "grande rose de roche", qui nous a "rendu plus léger", on s’émerveille d’avoir pu "la suivre sans bouger d’ici".
Mais la distance n’est pas la seule condition du bonheur d’être au monde. Il y faut aussi l’élévation ; il faut être comme emportés dans les airs, "suspendus". Le malheur, c’est non seulement lorsque des murs "arrêtent le regard", mais c’est aussi quand le lieu se fissure, quand les choses pèsent de tout leur poids ; lorsque la montagne, par exemple, est une masse sombre qui écrase ; et c’est là la mort même, ce comble de lourdeur, cet absolu de poids.
Au contraire, il faut que quelque chose vous enlève au ciel dans un mou-vement ascensionnel qu’on peut admirer dans la floraison de l’humble passe-rose, et surtout chaque fois qu’un bloc de pierre, montagne ou roc, par l’effet d’une lumière miraculeuse, est projeté en plein ciel, "suspendu".
L’occurrence de ce mot, dans Après beaucoup d’années, est remarquable. Tout ce qui est heureux est suspendu : les montagnes de Savoie, les vierges de Zurbaran, des nuages roses, telle rumeur "un peu plus haut que vos têtes", toutes choses du monde, graves ou humbles, dont on aimerait tresser une couronne, comme une couronne de fleurs tenue "au-dessus". "Suspendu" aussi le prome¬neur qui longe les eaux de la Sauve ou du Lez. On le voit cette légèreté du monde se communique, comme par osmose, au poète. Le monde léger fait de nous des êtres légers dans l’altitude, et comme adossés à "une forteresse impre¬nable", quand c’est tout le ciel qui soudain nous regarde.

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Cette distance qui se creuse, cette jubilation qui naît, cet allégement qui se produit sont toujours les fruits chez Jaccottet d’une émotion qui, loin de tout "ébahissement stérile" comme de toute "pâmoison sentimentale", est ouverture "sur les profondeurs" [10] et retour au centre de soi-même, dans la mesure où elle manifeste "l’unité et la persévérance de (sa) vie".
Aussi n’est-il pas surprenant que ce qui surgit ainsi du dehors et nous ar-rête, étonnés, fasse écho à des étonnements passés, nous reportant ainsi à notre lointaine enfance. Or, Jaccottet n’est pas un écrivain de l’enfance, comme il le dit dans l’entretien qu’il accorda au journal Le Monde (édition du 15/9/1994). Comment comprendre ? Jaccottet ne s’attarde guère aux méandres du labyrinthe qu’est notre passé, où toujours quelque sourde nostalgie trouve¬rait à se satisfaire. Si chacun de nos étonnements nous ramène à l’enfance, c’est à chaque fois comme à cet "âge imaginaire où le plus proche et le plus lointain étaient encore liés, de sorte que le monde offrait les apparences rassu¬rantes d’une maison, ou même, quelquefois d’un temple, et la vie celle d’une musique." [11] C’est un reflet de cela qui nous parvient du fond de tout étonnement. Alors l’enfance n’est pas derrière nous mais plutôt toujours devant nous, comme il semble qu’elle pourrait l’être pour ce "voyageur âgé" qui "se retournant pour passer le col, vers sa déjà lointaine enfance (...) ( aurait ) l’espace d’une seconde, l’illusion de rejoindre plutôt, ce qui encore, l’attendrait".
Après beaucoup d’années, au commencement, est toujours l’étonnement, cette "meilleure pente de l’homme" comme le disait Pierre-Albert Jourdan. Eton¬nement comme voie d’accès à ce que Jaccottet ose nommer, mal¬gré l’usure de ce mot, beauté. Beauté qu’il voit comme "la chose la plus proche du secret de ce monde, (...) l’ouverture la plus juste sur ce qui ne peut être saisi autrement" [12]. Autrement qu’au travers de cet arrêt, caractéristique de l’étonnement, où le regard trouve à se réveiller de ce mauvais sommeil d’hommes "abrutis à la fois par ( leurs ) propres manques ( qui seraient plutôt des surplus ) et par cet aujourd’hui" [13] si propre à flatter notre privilège mortel : tout rapporter à soi. L’étonnement qu’en son adret on nommera émerveillement - encore un mot qu’ose très souvent Jaccottet - brise les glaces qui scellent les lèvres de la vie et dans lesquelles restait pris le regard. Il en va de lui comme de ce "gué" qu’il évoque. Le voyageur s’y arrête. La vie se remet alors à couler car il n’est "nul besoin de boire, la vue suffit à désaltérer".
Décidément, ce monde est bien pour Jaccottet ce qu’il était pour Simone Weil : "la porte d’entrée", soit, et "en même temps", une "barrière" et un "passage" [14]. L’étonnement entrebâille la porte dans l’intervalle d’un instant. Il fonde ce que Jaccottet appelle "l’entrevision", dont il dit dans un autre entretien accordé cette fois au journal Libération (édition du 7/4/1994) qu’il s’agit de l’un de ces moments privilégiés qui "échappent légitimement à l’ordre de l’Histoire" tant ils font écho en nous à un "ordre de sensations qui est ce qui change le moins".
Entrevoir, ce n’est pas voir à moitié.
Le mot ne se limite pas non plus à décrire la posture de celui qui voit. Même si l’on a souvent fait remarquer, avec raison, que c’est toujours à partir d’un couvert, depuis un rideau d’arbres, que s’exerce le regard de Jaccottet.
Entrevoir, c’est voir dans la distance, à partir de l’invisible qui traverse le regard. Cet invisible, en excès sur toute nomination pos¬sible, ce toujours autre chose, dont "les colombes" qui s’envolent "à grand bruit" des eaux du "col de Larche ou de l’Arche" ne rejoindront jamais le ciel "presque hors de ce monde". Invisible indubitable, pourtant. Comme cette "fraîcheur" qu’il dépose "sur le front", signe qu’il a touché en nous, par delà les sens, à ce que "nous ( avons ) en nous d’invisible". C’est cette frappe qui produit la jubilation, cette "joie d’être", dont "l’expression la plus naturelle", disait Jaccottet dans Paysages avec figures absentes, se trouve dans ces voix, ces messages, ces appels qui ne sont ni voix, ni messages, ni appels mais plutôt déjà réponses, même s’ils ne sont qu’"une rumeur au-dessus du sol", juste "une insinuation à voix très basse, comme de qui murmure : regarde, ou écoute, ou simplement attends". [15]
Finalement, entrevoir, c’est écouter le dehors, après que nous ayant saisi, s’est objectivé en lui notre fond le plus propre et, Jaccottet n’en doute jamais, le meilleur.

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C’est alors deux "leçons" qui nous sont rendues accessibles. Elles tiennent en peu de mots, et c’est à demi-mot qu’elles sont énoncées.
La première, on peut la reconnaître dans ces eaux, "messagères des crêtes", qu’elles soient de la Sauve, du Lez, ou les servantes rieuses des pentes du col de Larche. Le promeneur qui est entré dans la course rapide de ces eaux jaillissantes, s’élançant de la pierre lourde des "tombeaux froids", voit et entend la même chose que celui qui dans Paysages avec figures absentes se retrouvait près d’une "frontière, un poste avancé, perdu au seuil d’un Thibet", là où "la terre ( avait ) l’air de dire : "passe"."
"Hâtives" sont les passantes, "fraîches" et si "claires", et si "vives" que "rien" ne saurait les "assombrir". "Ivres" aussi mais si "pures" qu’"on n’en voit pas le commencement ni la fin". Ainsi, ces "eaux premières" échappent au temps, ce lieu du mélange, ce mixte de présence et d’absence. Fuyant d’un flot qui brille, leur brièveté est aussi signe d’éternité. Eternité que Jaccottet ne situe pas hors du temps mais, au contraire, comme la pointe même du pré¬sent. Telle est leur réalité, leur présence.
Or, à surgir ainsi, la présence défait notre expérience de la durée, où le présent existe à peine, car dans le même temps où il se jette dans un avenir qui n’est pas, il se perd déjà dans un passé qui n’est plus. Si donc les voir ainsi aller "prodigues" dans la joie nous "abreuve" et nous "désaltère", c’est parce que ce n’est que dans la rencontre du présent que nous éprouvons notre réalité de pas¬sant qui doit savoir "leur donner congé". Il reste seul avec leur bondissement, le coup de tonnerre de leur explosion, avec ces "étincelles", cette "foudre d’eau dans les rocs", comme Jaccottet le disait déjà dans La promenade sous les arbres, ce pur jaillissement, à propos duquel dans Cahier de verdure, il rappelle ces mots de Hölderlin : "tout ce qui jaillit pur, en pureté, tout pur jaillissement est énigme". Enigme d’où nous vient cette "fraîcheur" dont la tendre pression incline le poète à tenter de "faire entendre" cela qui est mur¬muré comme "dans une langue étrangère", cela qui n’est que de l’eau.
Et c’est la deuxième "leçon" : "faites passer" dit la terre au promeneur "de sa voix qui n’en est pas une". "Mais quoi ? Quelle consigne ?" Rien, sinon "l’intérieur de ce bruit, de cette course d’eau". Où l’on comprend qu’il s’agit moins de faire passer la beauté aperçue dans "l’asile d’un instant" que celle, accessible dans l’accord inattendu entre la lumière du jour et la lumière du cœur, plus profonde, et dont elle n’est finalement que le reflet, d’une lumière si autre qu’elle rayonne dans un "espace où l’on ne peut entrer" mais que la parole de poésie, cette survivante qui regarde l’oubli, prend sous sa sauvegarde.

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Ne nous étonnons pas si c’est sur cette lumière inconnue que se clôt, du moins dans son espace typographique, Après beaucoup d’années. Ainsi reste-t-on face à cela seul qui importe, à cela seul qui est fidèle, même si c’est dans son retrait qu’il se tient. "Cette lumière inconnue (...) portant toujours un autre nom que celui qu’on s’apprêtait à lui donner" [16] n’est le point de butée que d’une "limite heureuse". Après beaucoup d’années, Jaccottet sait laisser toujours vif l’attrait de "ce qui ne peut se voir", comme si c’était la lumière de la présence qui s’occultait elle-même, n’étant dès lors ni "neige", ni "bannière blanche ou bleue / ni rien qu’on puisse vraiment déployer", mais toujours autre chose qui échappera "à toute espèce de chasseur" alors même que de sa poigne, quand bien même il s’agirait d’une caresse, il exige du poète qu’il s’efforce de le traduire du silence. On ne rappellera pas ici les doutes de Jaccottet, sa prudence, effet de sa belle querelle, de son beau souci de parler d’une "voix juste". On se contentera d’en appeler encore une fois à Simone Weil.
Et si je me risque à dire de ce livre qu’il est beau, c’est me souvenant de cette parole : "est beau, le poème qu’on compose en maintenant l’attention orientée vers l’interprétation inexprimable en tant qu’inexprimable" [17] .
Beau aussi comme un de ces cols que nous gravirions, garant de continuité, de passage, douant d’ouverture nos montagnes - ce col fût-il infranchissable - sur cette lumière qui s’élève depuis l’autre versant, remonte les pentes inconnues et dont les premiers souffles, en passant, nous rafraîchissent et affermissent nos pas de marcheurs voûtés par trop de doutes, comme le dit souvent Jaccottet.
Beau, enfin, comme un chant quand il n’est rien d’autre "qu’une sorte de regard" [18] , chant qui fait passer cette joie antérieure au poème, "d’un autre ordre que littéraire, Dieu merci !", s’exclame Jaccottet, dont cela "qui ne peut se voir" reste la source toujours vive et que fait affleurer la baguette de coudrier de nos étonnements.
Les "beaux chemins" de Philippe Jaccottet sont des chemins de vie. S’ils ne consolent pas, s’ils ne guérissent rien de nos malheurs, ni de ceux, effroyables, de ce monde, au moins mènent-ils "un pas / au-delà des dernières larmes".
Ils aident à vivre parce qu’ils se tiennent toujours sur le versant "où la proue fend l’eau", et qui, pour n’être pas le présent de l’émerveillement - cet insu qui appartient en propre à Jaccottet - est, avec un minimun de perte, ce que le passeur a su amener jusqu’à nos rives. Avec lui, nous nous sentons à nouveau vivants, et comme assurés de nous-mêmes et du monde. Un peu moins lourds, un peu moins sérieux, un peu plus légers. En dépit de tout ce froid...

Notes

[1La promenade sous les arbres, Mermod, 1961

[2L’Ignorant, Gallimard, 1958

[3L’Effraie et autres poésies, Gallimard, 1953

[4"L’Ignorant, Gallimard, 1958

[5Paysages avec figures absentes, Gallimard, 1976

[6Par exemple dans La semaison, Gallimard, 1971, ou dans Paysages avec figures absentes, Gallimard, 1976

[7Attente de Dieu, Fayard, 1977

[8Paysages avec figures absentes, Gallimard, 1976

[9A la lumière d’hiver, Gallimard, 1977

[10Une transaction secrète, Gallimard, 1987

[11Cahier de verdure, Gallimard, 1990

[12Ibidem

[13Une transaction secrète, Gallimard, 1987

[14La pesanteur et la grâce, 10-18, 1962

[15Cahier de verdure, Gallimard, 1990

[16A travers un verger, Gallimard, 1984

[17La pesanteur et la grâce, 10-18, 1962

[18Airs, Gallimard, 1967

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