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Article présent dans les rubriques : BRIBES II /

PAUL BADIN

Fraternité
© Paul Badin
Publication en ligne : 28 décembre 2020
Clefs : Badin , poésie

Fraternité est le premier poème d’une série destinée à ce site et intitulée Bribes II


Il a surgi sans crier gare
frappé à la vitre
J’ai faim
j’veux m’acheter une pizza
c’est quinze euros

un dimanche soir !
en pleine occupation
épluchage de pommes de terre
à cuire lentement avec du chorizo
et un oignon
pleine occupation
qui permet aux retraités d’oublier
qu’ils vont vers leur fin.
Ne pas laisser la porte ouverte trop longtemps
il venait de remettre le chauffage en marche
en ce début d’automne frisquet.
Il ne s’est pas déplacé
il avait le dos un peu lourd
au retour de la promenade
il ne l’a vu que de loin
il avait une minerve
il venait de se faire opérer de la gorge
il parlait difficilement.
Il est resté à la porte
il ne l’a pas fait rentrer
il ne voulait pas lui donner un billet
comme ça, quand même
mais il n’avait que des petites pièces jaunes
un peu plus d’un euro…
Une fois parti
il ne sait pas bien ce qu’il s’est passé
il a lâché ses pommes de terre
de toutes façons, c’était prêt à mijoter
il s’est dégoûté.

Toi qui as tant lu
tant écrit, sur ceci, sur cela…
qui parles d’aide aux migrants
de soutien aux prisonniers politiques
de justice sociale, d’écologie…
Bien sûr, tu gagnes un poème
mais cette trappe nauséabonde
ouverte dans ta suffisance
ce mauvais goût de rance
qu’il laisse dans ta bouche…
Attendre un prochain indigent
demandeur de peu
d’une poussière
vu ce que tu possèdes
pour te soulager un peu
te souvenir brutalement
que ceux qui n’ont rien
donnent tout
à la première occasion
avant même qu’on le leur demande.

En fait, plus l’on a et moins l’on donne.
Bon. La honte.
Il est ressorti dans la rue
lui parler
lui demander ce qui lui arrive
et même où il pense coucher cette nuit…
Mais trop tard
la rue s’était vidée
et son remords
n’aura aidé personne.
Qu’il le garde en lui
un jour peut-être
il criera tellement fort
qu’il faudra bien qu’il les lâche
ses petits billets
auxquels il s’attache comme à une ancre.
Mais celui-là
s’il a eu faim ce soir
il l’a bien empêché de savourer
ses pommes de terre au chorizo
ce n’était pas la fête
comme quand on partage une pizza
entre frères.

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