RAPHAËL MONTICELLI
Initialement posté sur facebook.
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Sorti de l’expo, je me suis aperçu qu’une phrase me tournait sans cesse en tête : « Seules les traces font rêver », phrase de René Char, souvent citée. « Seules les traces... » et les pièces vues dans la galerie me revenaient persistantes. Les traces. Celles que Nicolas Daubanes a tirées de sa connaissance de la prison. Tandis que j’écris, elles sont là. Et je repense à cette extraordinaire -et si pertinente- technique qu’il emploie : limaille de fer aimantée pour produire images et formes. Ça joue de la lumière. Et ça vous a un côté rugueux. Sans agressivité pourtant. Dans la deuxième salle, à droite, un visage de femme, noir et blanc, sur un mur bleu. Il précise : « ce n’est pas de la limaille de fer, c’est la poussière d’étoile. » Je pense d’un coup à Malaval. Et ça n’a rien à voir. La poussière de Malaval est métaphorique. Chez Daubanes, c’est de la limaille de météorite.
Je m’étais dit, avant de voir l’expo : cet artiste est un bloc d’humanité, et un tragique. J’ai vu l’expo et je confirme. De l’univers carcéral, ses objets, ses sols, son architecture, ses espaces, au cosmos... et, centrale, cette image de femme. Il ajoute : « C’est ma mère... ». Il précise, ou je précise : « C’est la Mère », poussière d’étoile sur fond bleu.
Nicolas Daubanes a proposé à Eva Vautier d’exposer en même temps que lui, Jeanne Berbinau Aubry, à l’étage... Autre artiste, autre « univers poétique », autres rêves, autres traces. Mais quelle justesse dans le choix ! Quels échos ! Ne sont présentées que trois œuvres. Mais quels échos ! L’une d’entre elles conserve la poussière d’un enduit de mur à peine gratté. 67 traces, pour les 67 jours que Berbinau Aubry a passé à Rome. 67 petites rognures, comme d’ongles, alignées sur une plaque de verre à quelques centimètres du fond sur lequel l’éclairage projette les ombres. Elle dit : « c’est de la sculpture, puisque je travaille en enlevant du volume ». Je me dis : « sculpture inversée, alors, puisque ce qui est conservé, c’est ce qui a été enlevé ». Je regarde les ombres portées. Les ombres aussi font rêver. Un auteur ancien, Pline, je crois, disait même que c’est d’une ombre portée qu’est née la peinture... et j’entends, ou vois, plein d’échos entre les œuvres des deux artistes.
Je fais long, pour Facebook, mais comment ne pas dire cette autre œuvre : plein de petits objets recueillis dans un jardin de Rome : feuilles, fleurs, insectes, galets, conservés dans des tubes à essais bien alignés, remplis d’alcool, et retro-éclairés. Les objets semblent plus ou moins s’effacer. L’alcool prend des teintes diverses. Nous sommes entre le musée d’histoire naturelle et les aquarelles ou pastels des naturalistes du XIXe siècle. Et nous sommes en pleine contemporanéité. Je pense lui demander « avez-vous lu « le Parfum » de Suskind ? ». Un autre visiteur sollicite l’artiste. Je ne lui pose pas la question. Je m’en vais.
Seules les traces font rêver.
Et les ombres.