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MICHEL BUTOR

Du pseudonyme à l’anonyme
© Michel Butor

À propos de "Documentaires"

Publication en ligne : 30 août 2020

1) Pseudobiographie

 Tous les écrivains sont inégaux, surtout les écrivains très abondants. Mais, pour Cendrars, pseudonyme de Frédéric Sauser, j’ai l’impression que les choses vont plus loin, ce qui est lié à un certain nombre de problèmes dans la structure de la personnalité psychologique et littéraire de Cendrars.

 Pour mieux poser ces questions, je suis amené à rappeler un des épisodes les plus romanesques et les plus connus des études cendrarsiennes. Cendrars, après la guerre de 1914, publie un recueil de poèmes intitulé « Kodak ». Lors de la réédition de ce recueil, la maison Kodak ayant fait un procès, le livre change de titre et s’appelle « Documentaires ». C’est de cette façon qu’on le connaît aujourd’hui. Lors de cette republication Cendrars ajoute une préface :

 « Au moment de mettre sous presse le présent volume, nous recevons des éditions Stock une lettre dont nous extrayons le passage suivant : « Paris, le 25 mars 1943... »

 Suit la lettre à propos de l’interdiction frappant le titre « Kodak ». Cendrars commente :

 « À la réception de cette lettre j’avais bien pensé débaptiser mes poèmes et intituler « Kodak » par exemple « Pathé-baby », mais j’ai craint que la puissante « Kodak and Co Ltd » au capital de je ne sais combien de millions de dollars, m’accuse cette fois-ci de concurrence déloyale. Pauvres poètes, travaillons ! Qu’importe un titre. La poésie n’est pas dans un titre mais dans un fait, et comme en fait ces poèmes que j’ai conçus comme des photographies verbales, forment un documentaire, je les intitulerai dorénavant « Documentaires ». Leur ancien sous-titre. C’est peut-être aujourd’hui un genre nouveau. »

 Je rappelle cette préface à cause de sa date. En effet, c’est très peu après, que, dans « l’Homme foudroyé », Cendrars va déclarer qu’un de ses livres de poèmes est en réalité un découpage dans les oeuvres d’un romancier populaire qu’il admire, Gustave Lerouge :

 « Et bien, bien des années plus tard, alors qu’en toute candeur le polygraphe vieillissant qui toute sa vie durant avait été à la traîne de l’école symboliste et comme tenu e marge du « Mercure de France », voyait son ambition ses réaliser d’être enfin pris au sérieux et d’entrer de plain-pied dans la littérature ( la littérature avec un grand « L », ce rêve de tous les feuilletonistes et de milliers et de milliers de journalistes !) les « Nouvelles littéraires » lui ouvrant ses colonnes en première page (tout comme à Paul Léautaud), j’eus la cruauté d’apporter à Lerouge un volume de poèmes et de lui faire constater de visu en les lui faisant lire, une vingtaine de poèmes originaux que j’avais taillés à coups de ciseaux dans l’un de ses ouvrages en prose et que j’avais publiés sous mon nom ! C’était du culot. Mais j’avais dû avoir recours à ce subterfuge qui touchait à l’indélicatesse – et au risque de perdre son amitié – pour lui faire admettre, malgré et contre tout ce qu’il pouvait avancer en s’en défendant, que lui aussi, était poète, sinon cet entêté n’en eût jamais convenu.

 Avis aux chercheurs et curieux ! Pour l’instant je ne puis en dire davantage pour ne pas faire école et à cause de l’éditeur qui serait mortifié d’apprendre avoir publié à son insu ma supercherie poétique.)

 Cependant que je riais, j’entraînais l’ami Lerouge boire « mes » droits d’auteur chez Francis,  place de l’Alma, près de chez moi, chacun un magnum de champagne, du bon.

 Mais durant toute la soirée Lerouge resta rêveur.

 C’était bien son tour !

 Je l’avais sacré poète, lui, le timide handicapé.

 Il n’en revenait pas. »

 Ce passage, lors de sa parution, n’a eu aucun écho. C’est seulement quelques années plus tard que Francis Lacassin qui s’intéressait déjà depuis longtemps, comme spécialiste du roman populaire, à l’oeuvre de Gustave Lerouge, qu’il avait retrouvée en partie, décide de chercher exactement à quoi il est fait allusion ici. Si ce texte de « l’Homme foudroyé » n’a pas attiré l’attention à l’époque, c’est que cet ouvrage est caractéristique des grands textes tardifs de Cendrars que l’on peut appeler « pseudobiographiques ».

 Il y a en effet chez lui un développement remarquable de la pseudonymie.

 Bien des écrivains ont travaillé sous pseudonyme ; certains les ont multipliés. D’ailleurs on peut dire que dès qu’il y a écriture de roman, il y a pseudonymie, puisqu’il y a des narrateurs qui vont parfois se superposer les uns aux autres. Mais, dans la plupart des cas, le pseudonyme reste suffisamment simple, se tient à sa place, même dans des cas de pseudonymie multiple comme chez Kierkegaard ou Pessoa.

 Dans certains cas, des biographies sont données à ces pseudonymes. Chez Cendrars le pseudonyme se développe en une pseudo-biographie. Et tout le côté mythomanie ou mystification doit être compris à l’intérieur de cette dimension.

 Cette pseudo-biographie se développe de plus en plus à partir du moment où la main est coupée. Cette coupure va être vécue comme celle entre le personnage d’état-civil et le pseudonyme. C’est cette différence qui explique en grande partie l’inégalité de la production littéraire de Cendrars. Il n’arrive pas toujours à être à la hauteur de son propre personnage et de la biographie qu’il lui attribue, toujours liée d’ailleurs à la biographie civile de toutes sortes de façons.

 Dans la tétralogie pseudo-biographique à la fin de l’oeuvre de Cendrars , il y a de nombreux moments d’admirable invraisemblance. Que l’on pense, par exemple, dans « l’Homme foudroyé », à la merveilleuse description de la propriété de banlieue qui appartient à Paquita, la gitane mexicaine. C’est un texte d’une poésie étonnante, avec tous ces pavillons, dont celui qui est donné à cendrars pour qu’il puisse écrire. Dans un tel contexte, ce qu’il dit est toujours reçu comme en grande partie fictif. D’ailleurs les gens qui connaissaient l’ouvre de Lerouge à l’époque ne se doutaient pas des liaisons qu’il avait pu avoir avec Cendrars.

 

 

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2) Découverte

 Au bout de quelques années donc, Lacassin s’attaque à ce passage, et essaie de savoir s’il est véridique et quel serait le volume de Cendrars ainsi découpé dans les textes de Gustave Lerouge. Et ce qui est merveilleux, c’est qu’il le trouve. Il découvre qu’il s’agit de « Documentaires » dont 41

poèmes sur 44 proviennent, grâce à toutes sortes de manipulations d’ailleurs, du « Mystérieux docteur Cornélius » de Gustave Lerouge.

 Pour comprendre le niveau où les choses se situent, il est nécessaire de lire un ou deux de ces poèmes et de voir quelle est leur relation avec l’avant-texte de Lerouge.

 Voici donc le premier poème de « Documentaires » :

 « ROOF-GARDEN 

Pendant des semaines les ascenseurs ont hissé hissé des caisses des caisses de terre végétale

Enfin

À force d’argent et de patience

Des bosquets s’épanouissent

Des pelouses d’un vert tendre

Une source vive jaillit entre les rhododendrons et les camélias

Au sommet de l’édifice l’édifice de briques et d’acier

Le soir

Les waiters graves comme des diplomates vêtus de blanc se penchent sur le gouffre de la ville

Et les massifs s’éclairent d’un million de petites lampes multicolores

Je rois Madame murmura le jeune homme d’une voix vibrante de passion contenue

Je crois que nous serons admirablement ici

Et d’un large geste il montrait la large mer

Le va-et-vient

Les fanaux des navires géants

La géante statue de la Liberté

Et l’énorme panorama de la ville coupée de ténèbres perpendiculaires et de lumières crues

Le vieux savant et les deux milliardaires sont seuls sur la terrasse

Magnifique jardin

Massifs de fleurs

Ciel étoilé

Les trois vieillards demeurent silencieux prêtent l’oreille au bruit des rires et des voix joyeuses qui montent des fenêtres illuminées

Et la chanson murmurée de la mer qui s’enchaîne au gramophone »

 Voici maintenant les passages du « Mystérieux Docteur Cornélius » de Gustave Lerouge, d’où viennent la plupart de ces phrases :

 « Pendant des semaines les ascenseurs avaient hissé des caisses pleines de terre végétale. Enfin, à force d’argent et de patience, d’ombreux bosquets s’épanouissaient maintenant au-dessus des pelouses d’un vert tendre que séparaient els allées sablées. Une source vive fuyait en serpentant à travers les gazons d’où s’élevaient des massifs de rhododendrons, de camélias et d’orangers.

 Dans ce jardin, magnifiquement éclos au faîte du monstrueux édifice de briques et d’acier, il régnait, même aux plus brûlantes journées de la canicule, une exquise fraîcheur.

 Des barmen vêtus de blanc et graves comme des diplomates, faisaient circuler, sur des plateaux d’argent au chiffre du club, toute la redoutable pharmacie des boissons américaines (...)

 Mais c’était surtout le soir, quand les massifs s’éclairaient de milliers de petites lampes électriques bleues et vertes, que le parc du Grizzly-club présentait un aspect féerique ; »(sixième épisode : « les Chevaliers du chloroforme »).

 Il faut maintenant, pour retrouver l’origine de la suite du poème, passer à un autre fascicule, donc des centaines de pages plus loin :

 « - Je crois, Madame, Murmura le jeune lord d’une voix vibrante de passion contenue, que nous serons admirablement ici.

 Et, d’un large geste, il montrait la mer lointaine où allaient et venaient les fanaux des navires, la géante statue de bronze de la Liberté qui domine la rade, et l’énorme panorama de la ville coupée de ténèbres épaisses et de lumières crues. » (quinzième épisode : « la Dame aux scabieuses »).

 Et puis encore beaucoup pus loin :

 « La veille du départ, le vieux savant et les deux milliardaires se trouvaient seuls sur une des terrasses du magnifique jardin de la villa. Les massifs de fleurs embaumaient l’air ; le ciel étincelait de milliers d’étoiles. On entendait, dans le lointain, la chanson murmurante de la mer contre les rocs. Les trois vieillards demeurèrent longtemps silencieux, prêtant l’oreille au bruit des rires et des voix joyeuses qui s’échappaient de la villa aux fenêtres illuminées. » (dix-huitième épisode : « Bas les masques ! »).

 On peut constater que si effectivement la quasi-totalité du texte se trouve en effet dans « Le mystérieux Docteur Cornélius », il y a une distance considérable. Et voici maintenant :

 « VANCOUVER

Dix heures du soir viennent de sonner à peine distinctes dans l’épais brouillard qui ouate les docks et les navires du port

Les quais sont déserts et la ville livrée au sommeil

On longe une côte basse et sablonneuse où souffle un vent glacial où viennent déferler les longues lames du Pacifique

Cette tache blafarde dans les ténèbres humides c’est la gare du Canadian du Grand Tronc

Et ces halos bleuâtres dans le vent sont les paquebots en partance pour le Klondyke le Japon et les grandes Indes

Il fait si noir que je puis à peine déchiffrer les inscriptions des rues où je cherche avec une lourde valise un hôtel bon marché

Tout le monde est embarqué

Les rameurs se courbent sur leurs avirons et la lourde embarcation chargée jusqu’au bordage pousse entre les hautes vagues

Un petit bossu corrige de temps en temps la direction d’un coup de barre

Se guidant dans le brouillard sur les appels d’une sirène

On se cogne contre la masse sombre du navire et par la hanche tribord grimpent des chiens samoyèdes

Filasses dans le gris-blanc-jaune

Comme si l’on chargeait du brouillard »

 Ici la manipulation est si forte que je renonce à la détailler. Beaucoup de vers sont ajoutés. Mais il est certain que pour 41 poèmes Cendrars a presque dit la vérité. Francis Lacassin a découvert par la suite que deux autres des poèmes de « Documentaires » : « le Bahr-el-zeraf » et « Chasse à l’éléphant », ont été également découpés dans une matière textuelle préexistante. Il en reste un.

 Reste à savoir si Cendrars l’a effectivement dit à Gustave Lerouge ; un témoignage de Raymone l’assure.

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3) Faire silence

 Autrefois on estimait qu’écrire c’était ajouter du texte à du papier blanc. De même, autrefois on estimait que construire, c’était mettre un bâtiment sur un terrain auparavant vide. Donc un terrain sur lequel une maison était bâtie valait beaucoup plus cher que celui sur lequel il n’y en avait pas encore. Tout le travail de construction devait être payé, retrouver son salaire. Mais aujourd’hui, dans le centre d’une ville, le terrain atteint des prix pharamineux., et il est toujours déjà bâti. Si l’on veut construire quelque chose, on est obligé de détruire ce qui est déjà là. Il faut reconstituer un terrain libre. Et lorsque, par un hasard extrême, il reste un terrain libre dans un centre urbain, il vaut encore plus cher, parce qu’on n’a pas besoin de travail pour détruire ce qui existe déjà.

 Dans le sud de Manhattan, les quelques terrains libres qui restaient il y a déjà quelques dizaines d’années, valaient beaucoup plus cher que les gratte-ciels qu’il fallait détruire pour en construire de plus grands encore. Le plus grand faste maintenant, pour une banque américaine, c’est de réussir à laisser de l’espace libre. Donner un square à la ville, voilà le sommet du luxe. C’est le vide qui coûte le plus cher, parce que ce vide est conquise (ou préservé) sur un grouillement et un encombrement considérables.

 Ce qui est vrai pour l’architecture, l’est aussi, dans une certaine mesure, pour la littérature. Même pour la musique. Autrefois il s’agissait d’ajouter des sons à un silence normal, riche et naturel, mais qui était là. Aujourd’hui, dans la plupart des endroits où s’accumulent les hommes, il n’y a pas de silence. Le fond est un bruit considérable. Et donc pour faire de la musique, on est obligé d’établir d’abord le silence. Cela fait partie du rituel du concert symphonique.

 De même aujourd’hui nous nous trouvons devant une pléthore de textes.

 Cendrars dit quelque part que Rémy de Gourmont lui avait déclaré que si on lit très sérieusement deux heures par jours, on réussit à lire tout ce qu’il y a à la Bibliothèque Nationale. C’était déjà faux, ça l’est dix mille fois de plus aujourd’hui.

 En opposition à ce que disait (peut-être) Rémy de Gourmont, il y a l’exclamation d’Ezra Pound arrivant à Londres, se promenant à la bibliothèque du British Museum et s’écriant : « Est-ce qu’il va falloir que je lise tout ça ? » Il décide que non et il lira seulement de nombreux volumes choisis.

 Il y a du texte partout. Les murs ici sont couverts de textes. Et ils sont accumulés de telle sorte que dans un espace il puisse y en avoir le plus possible. Nous sommes dans une ville de textes, puisque nous sommes dans une ville d’archives et la bibliothèque n’est qu’une partie des archives.

 Pendant des siècles on a considéré qu’écrire c’était ajouter du texte à une page blanche. Aujourd’hui nous sommes obligé d’arriver à la blancheur de la page, parce que le monde est déjà couvert de textes. Si nous écrivons un nouveau livre, c’est un texte qui s’ajoute aux millions de livres déjà existants. Or il est déjà impossible pour n’importe qui d’entre nous de lire, je ne dis pas tous les chefs-d’oeuvre de la littérature mondiale, mais même tous ceux de la littérature française. Par conséquent si j’ajoute un livre, j’empêche qu’on lise un chef-d’oeuvre.

 Donc l’activité littéraire a changé de nature. Elle est plus proche de la sculpture que de la peinture. Celle-ci est encore considérée comme le fait d’ajouter de la couleur à un support considéré comme vide, tandis que la sculpture consiste, la plupart du temps, à prendre un bloc et à lui enlever n certain nombre de fragments.

 Dans la pratique révélée par « Documentaires », nous avons une poésie sur le mode de la sculpture. On part de textes qui existent déjà. Or ceci est la figure d’un processus beaucoup plus général : nous écrivons toujours non seulement à l’intérieur d’une langue, mais d’une littérature. Nous travaillons dans une bibliothèque. Nous sommes entourés de textes serrés mes uns contre les autres que, pour la plupart, nous ne connaissons pas.

 Écrire va donc consister à prendre des mots qui existent déjà dans ces livres, des phrases, et à les agencer de telle sorte qu’ils creusent un espace autour d’eux.

 C’est parce qu’on écrit que la page devient blanche. Et c’est cette blancheur conquise qui va introduire de l’air dans la cave de la littérature existante. Le nouveau texte ouvre des fenêtres à l’intérieur du mur des livres.

 Dans « Documentaires », « Le mystérieux Docteur Cornélius » sert de matière première. les deux derniers textes sont également découpés dans le journal d’une chasse à l’éléphant publié dans une revue belge. Pour un seul on ignore quel est le texte d’arrière-fond.

 Je précise qu’il est impossible de deviner à la lecture quelles sont les différentes origines. En outre le style de « Documentaires » et celui de « Feuilles de route » sont si proches que la question se posait vraiment de savoir quel était le volume produit de cette façon. 

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4) Pourquoi le dire ?

 Pourquoi Cendrars a-t-il révélé ce qu’il appelle sa supercherie littéraire ? S’il n’avait rien dit dans « l’Homme foudroyé », personne ne serait allé chercher l’origine des textes de « Documentaires » à l’intérieur du « Mystérieux Docteur Cornélius », même si l’on s’était mis à lire ce « Mystérieux Docteur Cornélius » à cause de l’éloge dithyrambique que Cendrars en fait par ailleurs dans le même volume. Même si on lit plusieurs fois ce roman amusant mais fort long, la matière utilisée par Cendrars y est tellement dispersée qu’il est impossible de l’apercevoir si l’on n’est pas prévenu. Et pourquoi le dire incomplètement ? En effet, il nous parle d’une vingtaine de poèmes, alors qu’ils sont 41 et qu’il y en a deux au moins d’une autre origine. Il ne nous dit même pas qu’ils viennent du « Mystérieux Docteur Cornélius » alors qu’il parle beaucoup de ce livre.

 Il y a une grande ressemblance entre cette confidence et celle d’un contemporain de Cendrars, Raymond Roussel que celui-ci a évidemment connu, je ne dis pas personnellement, mais il en a évidemment entendu parlé et il a sans doute assisté à ses pièces de théâtre. La propriété en banlieue de Paquita, la gitane mexicaine, est très proche du Locus solus où le docteur Canterel nous montre ses merveilles.

 Lorsque Roussel s’est suicidé à Palerme, il avait préparé un ouvrage posthume :« Comment j’ai écrit certains de mes livres » dans lequel il nous livre certains des secrets de la fabrication de ses textes. S’il ne nous avait pas dit comment il s’y était pris pour rédiger certaines pages de « Locus solus » ou des « Impressions d’Afrique », nous ne l’aurions certainement jamais deviné. Il donne comme documents des textes parmi les premiers qu’il ait publiés et notamment « Chiquenaude » dont la première phrase :

 « Les lettres du blanc sur les bandes du vieux billard »,

 est identique à la dernière à une lettre près. :

 ’« Les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard ».

 Chaque mot significatif peut avoir deux sens. On va de l’un à l’autre au long de la nouvelle. Pour construire tel passage d’ « Impressions d’Afrique » dans lequel le jeune Noir Fogar entre dans la mer pour y découvrir des merveilles, il nous explique qu’il est parti de la chanson populaire : « J’ai du bon tabac dans ma tabatières » pour en tirer une suite d’équivalents : « jade – tube – onde – aubade... » pour en développer toute une scène fantastique.

 Roussel nous donne son secret après sa mort parce qu’il a l’impression que de tels procédés – extension nous-dit-il du procédé traditionnel de la rime – pourraient servir à de jeunes écrivains pour inventer des choses qui seraient peut-être bien plus intéressantes encore que celles qu’il a inventées lui-même.

 Lorsque Cendrars nous fait sa confidence, il a l’air de retenir ce qu’il donne :

 « Avis aux chercheurs et aux curieux ! Pour l’instant je ne puis en dire davantage pour ne pas faire école et à cause de l’éditeur qui serait mortifié d’apprendre avoir publié à son insu ma supercherie littéraire ».

 « Pour ne pas faire école », mais tout de même, il y a un secret qu’il veut faire passer. Ce qui était risqué, car il a fallu des années avant que Francis Lacassin se décide à suivre la piste.

 Dans les deux cas il y a révélation d’une procédure poétique, mais donnée de façon lointaine, posthume pour Roussel, quasi-posthume pour Cendrars. Roussel ne nous donne nullement les clés de ses textes, seulement des renseignements essentiels sur leur procédure d’inspiration. En partant des mêmes formules on pourrait obtenir des textes complètement différents. C’est un chemin qui doit permettre au récipiendaire de découvrir sa propre originalité, de continuer quelque chose qui n’est pas complètement venu au jour , ni chez Cendrars, ni chez Roussel.

 Cendrars nous avertit d’une façon énigmatique. Il nous indique qu’il y a quelque chose à chercher, mais il demande à son lecteur de faire un travail suffisant pour qu’il puisse véritablement profiter de sa trouvaille. Il demande donc au lecteur de s’identifier en partie à lui, Cendrars. Il lui demande d’habiter en quelque sorte le pseudonyme qui va pouvoir de cette façon traverser la mort.

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5) Pourquoi attendre ?

 Cendrars nous dit qu’il voulait faire plaisir à Gustave Lerouge en lui révélant sa « supercherie ». Il l’a sûrement épaté, mais ne l’aurait-il pas fait bien davantage s’il avait publié sa procédure pendant que celui-ci était encore en vie ? pourquoi avoir attendu sa mort ? C’est évidemment parce que sa présence aurait gêné ce qu’il voulait faire. Il ne lui aurait été que trop facile de dire : « en fait, il a peut-être pris des matériaux dans mes textes, mais il les a considérablement transformés ; on ne les reconnaît plus ; ce n’est pas du Gustave Lerouge. » Or précisément, ce que Cendrars veut pouvoir nous dire librement, c’est que c’est du Gustave Lerouge.

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6) Pourquoi le faire ?

 Quand il prend le Formose pour aller au Brésil, il n’a nullement besoin de texte préalable prélevé dans un roman, pour creuser à l’intérieur. Il creuse dans le texte atmosphérique, dans les conversations qu’il entend et mène sur le paquebot.

 Mais Gustave Lerouge joue un rôle si important à l’intérieur de l’oeuvre de Cendrars qu’il y a une opération magique qui se trame avec son personnage et son texte. En publiant les poèmes de « Documentaires », sous son nom, mais en pouvant croire et en faisant croire qu’ils ont été découpés d’une façon simple à l’intérieur du texte de Gustave Lerouge, Cendrars aboutit à l’effet suivant : c’est qu’il devient le pseudonyme de Gustave Lerouge. Blaise Cendrars, ce n’est plus seuleùent le pseudonyme de Frédéric Sauser. C’est aussi, dans ce livre-là, selon l’idée de Cendrars, le pseudonyme de Gustave Lerouge. Et d’autres encore, d’au moins un autre encore (le chasseur belge), mais qui n’a évidemment pas la même importance pour lui.

 Donc Blaise Cendrars devient le pseudonyme de Gustave Lerouge, et l’habitation de ce pseudonyme, c’est quelque chose qu’il veut conserver le plus longtemps possible. Il ne veut pas que Lerouge puisse sortir de cette pseudonymie-là. Et s’il veut que Gustave Lerouge fasse parte du personnge Blaise Cendrars, c’est évidemment parce qu’il est une sorte de mythe pour lui, un idéal, celui du grand écrivain inconnu. Il est ce que voudrait être Cendrars à bien des égards.

 Tout ce travail de découpage, de collage, permet un enrichissement considérable du pseudonyme, qui va inclure secrètement Gustave Lerouge, l’inclure pour Gustave Lerouge dans une certaine mesure, pour Blaise Cendrars en tous les cas et pour Raymone qui était au courant. Mais il est nécessaire que le départ de la piste soit donné pour qu’on puisse découvrir peu à peu la communication.

 Gustave Lerouge est un écrivain réel et nous pouvons lire une bonne partie de ses oeuvres. Mais Cendrars, à l’intérieur de « l’Homme foudroyé », va le mythifier considérablement. Gustave Lerouge lui permet cette mythification dans la mesure justement où il est un écrivain populaire qui écrit, qui publie, très souvent de façon anonyme. Il va être l’incarnation, en quelque sorte, du texte populaire universel qui nous entoure, ce texte à l’intérieur duquel la littérature se dégage comme quelque chose de spécial. Gustave Lerouge, c’est le mur de la lecture anonyme continue.

 Il est ce que lisent les gens sans presque s’en apercevoir. Et aussi, pour Cendrars, quelqu’un qui écrit presque sans s’en apercevoir ; il est donc en dehors de toute volonté littéraire habituelle. C’est pourquoi il le déclare un très grand poète anti-poétique. Cendrars est un grand poète « anti-poétique » ; c’est ce qu’il y a d’ « anti-poétique » à l’intérieur de son oeuvre qui est le plus poétique pour nous. Mais la biographie réelle de Frédéric Sauser ne permet pas à Cendrars de se tenir complètement en marge du littéraire parisien et de ses dégradations journalistiques. Il est obligé d’y vivre et il en souffre.

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7) Monument au poète inconnu

 Gustave Lerouge, lui, n’en souffre pas, ce qui est un immense avantage. Et il a, selon Cendrars, une productivité poétique telle que son inspiration n’est corrompue par rien. Il est celui qui écrit comme il respire et se moque de toute reconnaissance et même de toute rémunération autre que celle toute simple du journaliste. Gustave Lerouge était journaliste au « Petit Parisien », d’où l’épisode raconté dans « l’Homme foudroyé ». Cendrars s’efforce de négocier pour Lerouge les droits d’adaptation cinématographique du « Mystérieux Docteur Cornélius » et dit qu’il réussit à obtenir des millions et à arracher à Lerouge une signature sur un bout d’enveloppe. Malheureusement quelques jours plus tard, celui-ci envoie un pneumatique à Cendrars pour lui dire :

 

 « Non, c’est impossible. Je veux rester inconnu. Je veux rester le méconnu par excellence et je refuse tous tes millions. Je veux donc rester dans cette misère. »

 Lerouge est donc le poète méconnu par excellence.

 Cendrars sait que la qualité littéraire n’a pas de rapport avec le tirage d’un livre, ce qui est encore plus vrai aujourd’hui que de son temps. Il sait aussi qu’elle n’a pas de rapport avec le succès immédiat, qu’il y a des livres peu connus que nous considérons comme bien plus intéressants que des livres très connus. On peut pousser cela jusqu’à la limite : le plus grand livre est peut-être un livre totalement inconnu. Chez Gustave Lerouge il y a cette espèce de paradoxe que nous avons un auteur inconnu qui est extrêmement lu, dont les livres, par petits fascicules, se publient à des milliers et des milliers d’exemplaires. Cendrars dit des millions. Il y a donc un auteur qui est lu sans aucun doute, qui est traduit dans toutes les langues, donc l’auteur idéal à cet égard-là aussi, et pourtant il est totalement inconnu ou presque de la critique parisienne. Et Cendrars veut montrer, par « Documentaires », que cet écrivain, à la fois si répandu et tellement inconnu, est un grand poète et que ce grand poète, à certains égards, c’est lui ! Gustave Lerouge est ce qu’il voudrait être et ce qu’il réussit à être d’une certaine façon en publiant ses textes sous son propre pseudonyme.

 Voici la présentation générale de Gustave Lerouge dans « l’Homme foudroyé » :

 « Gustave Lerouge, mort il y a quelques années, à la veille de la deuxième guerre mondiale, est l’auteur de 312 ouvrages (en tous cas, c’est le nombre de ceux que je tenais de sa main et qui figuraient dans ma bibliothèque pillée en juin 40) dont beaucoup en plusieurs volumes et l’un « Le mystérieux Docteur Cornélius »,, ce chef-d’oeuvre du roman d’aventures scientifico-policières, en 56 livraisons de 150 pages et d’autres, ne sont même pas signés, Gustave Lerouge travaillait souvent pour les éditeurs de 17e ordre. Comment définir ce polygraphe à l’érudition vivante et spontanée, jamais à court d’arguments ? Ce n’était ni un nègre, ni un tâcheron, car ce laborieux, même dans d’obscures brochures anonymes qui ne se vendaient que dans les kiosques, les dépôts de journaux, les papetiers, les merciers de quartier ou de province, n’a jamais démérité de son métier d’écrivain, qu’il prenait fort au sérieux et dont il était fier. Au contraire, c’est dans ces publications populaires qu’ils ne signai pas – des gros volumes dont une « Clef des songes », un « Livre de cuisine » (que j’ai recommandé à tous les gourmets de ma connaissance), un « Miroir de magie » - et dans des cahiers à peine brochés, souvent une simple feuille imprimée pliée en quatre, en huit en seize, qui se vendaient deux, quatre, dix sous, et étaient criés par des camelots aux bouches du métro le samedi soir (je parle du temps antédiluvien d’avant 1914 !), - »le Langage des fleurs », « Choisis ta couleur, je te dirai qui tu es ! », « Commet coller les timbres-postes pour exprimer ses sentiments... », « l’Art de se tirer les cartes », « les Lignes de la main », « le grand Albert », « le petite Tarot », etc., etc. »

 Je précise que, si on a retrouvé de nombreux ouvrages de Gustave Lerouge, on n’a retrouvé aucun de ceux qui figurent dans cette liste.

 « - qu’il se laissait aller à son démon, faisant appel à la science et à l’érudition, non par vain étalage encyclopédique – Lerouge avait lu tous les livres et annotait toutes les thèses d’université »

 On voit vraiment le mythe se mettre à bouillonner.

 « et les revues techniques ou spécialisées dont il recevait journellement une quantité prodigieuse – mais pour détruire l’image, ne pas suggérer, châtrer le verbe, ne pas faire style, dire des faits des faits, rien que des faits, le plus de choses avec le moins de mots possible et, finalement, faire jaillir une idée originale, dépouillée de tout système, isolée de toutes association, vue comme de l’extérieur, sous cent angles à la fois et à grand renfort de télescopes et de microscopes, mais éclairée de l’intérieur. »

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8) L’art d’accommoder les restes

 Étant donnée la procédure de Cendrars par rapport au texte-matériau de Gustave Lerouge, c’est évidemment Cendrars qui va dire :

 « ...des faits, des faits, rien que des faits, le plus de choses possible avec le moins de mots »,

 puisque la méthode principale, c’est le découpage de cet énorme roman. Ce sont quelques échantillons ici et là qui vont être retenus, choisis d’une façon très particulière, pas du tout les passages d’imagination extravagante qu’il admire beaucoup, mais au contraire ceux dans lesquels la description peu être considérée comme plane, réaliste. Dans le traitement qu’il fait de la matière Lerouge, c’est Cendrars qui va s’efforcer de ne pas « faire style », tandis qu’il y a chez Gustave Lerouge, romancier populaire, un effort naïf vers le style, vers un style pompier qui a d’ailleurs du charme pour nous. Lerouge s’efforce d’avoir de temps en temps de jolies formules que Cendrars va éliminer. Tous les passages où Lerouge devait avoir le sentiment de « bien écrire », il les censure pour ne retenir que la fraîcheur dont il était inconscient. Très curieux, d’ailleurs, ce détail du texte : « détruire l’image », alors que les poèmes de « Documentaires » sont des images et qu’ils sont même présentés comme des instantanés photographiques dont l’ensemble forme une sorte de film. Donc, détruire l’image dans un sens très particulier : détruire un certain nombre d’images préconçues, d’images poétiques habituelles.

 Et puis ce qui frappe, c’est : « ne pas suggérer, châtrer le verbe ». C’est dans le travail de Cendrars sur le texte de Lerouge qu’il y a cette espèce de castration. Il y a chez Lerouge une imagination flamboyante que Cendrars va imiter dans d’autres parties de son oeuvres, et dépasser d’ailleurs considérablement, mais à l’intérieur de ce texte-là, il cherche à se tenir au ras des choses, au ras de l’impression. Il va transformer effectivement la description de Lerouge en instantanés photographiques.

 « C’était de l’équilibrisme et de la prestidigitation. Ce jongleur était un très grand poète anti-poétique, et je donne la prose et les vers de Stéphane Mallarmé pour, notamment, une de ses plaquettes éphémères qui était intitulée « 100 Recettes pour accommoder les restes », qui se vendit cinq sols, petit traité domestique à l’usage des banlieusards, précis d’ingéniosité utilitaire, parfait manuel du système « D » et, en outre, le plus exquise recueil de poèmes en prose de la littérature française. »

 Quel dommage que nous n’ayons pas retrouvé cet « Art d’accommoder les restes », mais « Documentaires » en est un autre. À travers la pseudonymisation de Gustave Lerouge, qui est ainsi en quelque sorte avalé par la voracité du pseudonyme Cendrars, il y a un rêve qui va plus loin encore, qui est un au-delà de la pseudonymie.

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9)) L’auteur anonyme absolu

 J’ai déjà parlé à propos de Gustave Lerouge, de l’existence de textes publiés sans nom d’auteur, textes qui n’ont pas été retrouvés, mais existent peut-être. Derrière la figure de Gustave Lerouge, il y en a une autre, celle que j’appellerais « l’Auteur anonyme absolu », celui qui se manifeste par tout le monde. La poésie est faite par l’ensemble même de la population. Cendrars rêve bien sûr d’être identifié à cet anonymat général. Il rêve d’écrire le texte même fondateur de la civilisation et de la transformation de celle-ci. On trouve cela en particulier dans un rêve de texte qui s’appelle « Notre pain quotidien ». C’est à l’intérieur de la propriété fantastique dans la banlieue parisienne :

 « J’étais chez Paquita, dans le château que Paquita avait acheté et restauré pour l’offrir à son mari, 997 hectares clos de murs, en pleine banlieue, entre les berges de la Seine et de la Marne, le parc de la Belle au bois dormant, percé d’allées centenaires et rectilignes, un terrain mouvementé à souhait avec des fonds, des vallons, des belvédères, des étangs, des cascades, des moulins, des fontaines, des terrasses avec des jets d’eau, un jardin à la française, un lac artificiel et, au milieu du lac, dans une île également artificielle et sur un rocher truqué, le château d plus beau Louis XV baroque, avec ses ponts-levis, ses élégantes passerelles en filigrane, ses balcons renflés, ses triples fenêtres en dentelles, ses tourelles ajourées, son escalier à double circonvolution rococo, sa gondole d’or et d’ébène qui menait à la grille d’honneur, sa flottille de cygnes blancs et noirs, ses armoiries répétées à foison, ses grottes : architecture, ferronnerie d’art, lanternes, balustres, toitures polychromes, jardins, statues, le tout, avec la géométrie es vitres et du carrelage et l’immensité du ciel, renversé dans le grand miroir d’eau, voilà ce que Paquita avait réussi à fourrer dans la corbeille de son mariage pour le rendre à son mari... »

 Il est inutile de chercher trop exactement où se trouve la propriété de Paquita, la Mexicaine. À l’intérieur de cet ensemble, il y a un lieu fait spécialement pour Cendrars, et qui s’appelle « la Cornue ». C’est là qu’il doit écrire en principe un livre, un roman extraordinaire :

 « ...parce que, durant ce premier séjour dans son château féerique, j’ai redécouvert Paris par la misère de sa banlieue et que je me suis mis à écrire (et durant dix ans je devais revenir bien régulièrement pour passer trois, quatre moi à écrire dans ce château) « notre Pain quotidien », chronique romancée de la société parisienne, comment on vivait à Paris pour se procurer de l’argent et paraître durant l’entre-deux-guerres, la lutte pour la vie politique, vanité, jouissance, jazz, et krach, dix volumes que je n’ai pas signés et dont j’ai déposé anonymement les manuscrits dans les coffres de différents pays de l’Amérique du Sud au fur et à mesure que je les écrivais et voyageais, manuscrits que l’on trouvera un jour si le cataclysme qui ébranle le monde aujourd’hui s’arrête à temps, et que l’on publiera alors avec surprise, ou que l’on ne publiera alors pas, ce dont je me fiche pas mal puisque je serai mort et enterré depuis longtemps quand on ouvrira, de par la loi, ces coffres-forts dont j’ai jeté les clefs en haute mer. (Ce qui m’amusait de mon vivant, moi, que l’on taxe à Pari de poète exotique, c’était justement d’écrire cette chronique de Paris, et de porter cruel témoignage sur les choses et les gens, - c’est pourquoi j’ai essayé de mettre non pas la chance sur mon nom, mais d côté de mon écrit et d’en assurer la durée... MATÉRIELLE, la seule immortalité possible pour un écrit de ce genre. Rimbaud s’est tu. Socrate, cet homme de lettres, n’a jamais écrit. Ni Jésus, le poète du surréel. Je voudrais rester l’Anonyme) »

 Derrière la pseudonymie, il y a le rêve d’une écriture anonyme dans laquelle la totalité de la réalité se transforme en écriture pour se transfigurer. Ainsi de l’esclave de l’état-civil vont naître des pseudonymes surhumains. Le pseudonyme devient un pseudanthrope, un homme post-humain qui a à sa disposition toutes sortes de pouvoirs qui lui sont interdits par la société actuelle.

 Je vous souhaite à tous de respirer dans l’anonymat surréel de Blaise Cendrars.

Messages

  • Je ne connaissais pas ce texte. Je me suis amusé à le lire, amusé surtout parce qu’il a pour moi une actualité :Viens de paraître sous le titre "Au présent dans le texte & cinq Rhapsodies" 570 pages de mes écrits de 1960 à 2001, édité par "Enseigne des Oudin". En relisant au hasard quelques pages, j’ai retrouvé des fragments repris dans d’autres textes publiés jadis, - ce que j’ai toujours fait depuis "au présent dans le texte" paru en 1969 chez JP Oswald… Mais ce qui m’a amusé, en lisant Michel Butor, c’est que j’ai pratiqué cet (auto)-plagiat en sens inverse : dans la présente édition j’ai retrouvé des poèmes parus en revues ou recueils, mais repris en prose, modifiés surtout seulement par la présence d’une ponctuation. Le contexte en change cependant parfois le sens !

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