RAPHAEL MONTICELLI
Éléments en vue d’une conférence à l’école d’art de Luminy en 1988
Cette banalité s’ancre dans la banalité du rapport et dans la banalité des questions... Si je repasse en ma mémoire les deux ou trois dernières semaines j’y trouve pêle-mêle, l’écoute, interrompue par le deuil, d’une conférence, hier soir ; le choc, la gifle reçue des Greco du Prado, l’étonnante taille de ces drapés comme si se notait la disparition des corps, la fascination exercée par le bleu cette inquiétude de l’oeil qui ne voit plus sur cent tableaux que le retour de cette tache sans cesse renouvelée, jamais deux fois la même, et pourtant partout présente au point que je me suis pris à rêver à une histoire de la peinture, ou une analyse des tableaux, qui ne se servirait que du bleu comme structure de départ ; le visage d’une institutrice, chargé de décennies d’élèves, et l’envie d’écrire sur ce visage buriné dont le regard parfois s’enfuit, insensiblement s’attriste, et derrière elle, se rappeler ses propres premiers pas dans le rapport aux enfants ; l’étonnante générosité de Michel Butor, les dizaines de manuscrits croisés d’oeuvres plastiques, des dizaines d’échanges qu’il sortait, comme se jouant, de ses cartons, les centaines de textes, foisonnement autour des oeuvres, ou dans les oeuvres ; c’est, constamment, cette question... Qu’est-ce qui est en jeu, qu’est-ce qui se joue, à chaque instant, dans l’oeuvre d’art ?
Qu’est-ce qui se joue, oui, entre l’image d’Hermès et celle d’Orphée ? Qu’est-ce qui sans cesse se transforme et sans cesse disparaît ? Qu’est-ce qui se forme, et se transforme, se forge, se construit dans la pratique de l’art, dans le regard sur l’art ? Quelle circulation l’art met-il en jeu ? Oui, je voyais le titre que Max Charvolen a donné à ma prestation... La peinture... Quelques enjeux. Prenons.
A quoi bon l’art si rien n’est en jeu ? C’est bien ainsi que je conçois la question... Ou encore... A quoi ça sert. Derrière la niaiserie de la question, de vrais problèmes poussent, dans lesquels s’inscrit peut-être aussi le divorce sur lequel on pourrait sans difficultés s’étendre et insister entre la pratique de l’art et le regard social, ou le public, dit-on parfois.