RAPHAEL MONTICELLI
Éléments en vue d’une conférence à l’école d’art de Luminy en 1988
Je vous propose sur l’art le regard d’un intrus qui se prétend témoin non parce qu’il est seul en cause mais parce que, à l’instar du témoin du christianisme, il n’a pas décidé seul de porter témoignage, il ne porte témoignage que parce que ça lui a été demandé... Ainsi se définit dans le christianisme une vocation... Vocation parce qu’appel... Le témoin, oui, c’est bien celui qui fait intrusion là où personne ne l’attendait parce qu’il répond à un appel qui le dépasse et auquel ni lui ni d’autres ne s’attendaient. C’est bien aussi celui qui prend ou apprend, plus que celui qu’on enseigne.
Je vous propose sur l’art un regard qui pourrait être le vôtre, pour peu que vous soyez aussi intrus et témoins, portant en sympathie les choses ; le vôtre encore si vous pouvez considérer que les objets de l’art peuvent suivre des circuits bien plus complexes que ceux auquels on pense immédiatement. Je prétends ouvrir un lieu qui n’est pas une galerie, qui est hors marché, une hermerie, m’a proposé mon ami Michel Leter... Une Hermerie, un lieu d’Hermes, dieu des voleurs, des marchands et des arts, Hermes à qui nous devons déjà toutes les métamorphoses, à qui nous devons l’hermétisme, cette recherche de la vérité inconnue, Hermerie qui s’adresse non à ceux qui écrivent seulement, ni à ceux qui peignent seulement, ni à qui veut seulement lire ou seulement acheter... Hermerie qui, et je cite Leter, s’adresse à un homme réunifié que nous nous obstinons encore à diviser en auteur, lecteur, spectateur, marchand...
Pardonnez-moi de tant parler de ce lieu, mais je le prépare en ce moment, je l’ouvre la semaine prochaine et il me paraît rendre bien compte, en ce début de conférence, de l’état d’une réflexion sur l’art et le regard. En même temps que je songe à Hermès, je ne peux parler de l’art sans penser à Orphée et au regard d’Orphée et à toute la tragédie portée en ce regard qui fait disparaître ce sur quoi il se pose, et qui ne peut pourtant pas s’empêcher de se poser sur ce qu’il fait disparaître, parce qu’il l’aime, parce que cet objet, c’est Eurydice. C’est ainsi...
Je vous propose un regard sur l’art, regard en intrusion, regard en ouverture, regard en doute, en risque de perte, en inquiétude aussi, et en angoisse... Je vous propose un regard banal sur l’art.