pour Hélène Dubois
1) Enfance
Je ne suis pas peintre, mais je suis passionné par la peinture. Lorsque j’étais jeune, j’ai rêvé d’être peintre, mais comme je rêvais aussi d’être musicien, j’ai fait de la littérature. Dans tout ce que j’écris il y a la nostalgie de la peinture et de la musique. C’est pourquoi j’essaie toujours d’ouvrir mon texte sur autre chose.
Je vais commencer par mon expérience de jeune lecteur. Dès l’avant-guerre, dans une maison de campagne où j’allais pour les vacances, j’ai eu la chance d’avoir à ma disposition une bibliothèque ancienne avec notamment quelques jolis livres du XIXe siècle. J’ai pu lire certains textes dans les éditions de Gustave Doré, mes premiers Jules Verne dans les originales.
Je me souviens en particulier des Contes drôlatiques de Balzac illustrés par Doré. Les gravures y jouent deux rôles : illustration, signalisation.
D’abord illustration : l’image s’efforce de traduire un certain nombre de passages, de “réaliser” les descriptions ; dans ce processus elle ajoute énormément de détails, d’informations ; d’autre part elle prélève, privilégie une partie à l’intérieur de l’ensemble, souligne, renforce cette citation qui peut être fort complexe, rassembler des éléments de différentes pages.
Signalisation : tout au long du texte Doré dispose des vignettes qui sont effectivement de petites feuilles de vigne, dès qu’il y a un passage un peu osé. Naturellement l’adolescent qui parcourt cet ouvrage de style archaïque un peu difficile, va se précipiter sur les pages où il y a des vignettes à la recherche de ce qui a pu les provoquer.
Le regard du lecteur se détache de la linéarité habituelle. Prenant de la distance il explore page et volume. L’illustration produit une critique littéraire, nous apporte une nouvelle façon de lire le texte.
Aussi la question traditionnelle de savoir si l’illustration est une traduction fidèle se révèle sans fondement. L’important c’est que texte et image produisent ensemble quelque chose de cohérent. Tout texte peut comporter des illustrations différentes ; tout ensemble d’images engendrer un texte différent.
Dans les éditions originales des premiers grands Voyages extraordinaires de Jules Verne, l’illustration, faite de belles gravures sur bois, se présente en général en double page : deux gravures l’une en face de l’autre. Celle de gauche comporte en légende une citation du texte qui précède, celle de droite du texte qui suit. Deux passages souvent distants de plusieurs grandes pages sont réunis. Le lecteur va remonter pour savoir où se trouve la légende de gauche qu’il n’avait peut-être pas remarquée lors de son premier parcours, va chercher prospectivement parmi ce qui va venir.
Après la guerre je me suis trouvé dans les marges du surréalisme et j’ai été fasciné par les revues, les livres réalisés dans ce mouvement.