RAPHAËL MONTICELLI
L’une des premières expositions personnelles de Noël Dolla a eu lieu à la galerie La Bertesca, à Gênes. La préface m’avait donné l’occasion de travailler avec Noël sur les conditions de possibilité du surgissement d’une forme d’art dans l’histoire, et de celle de Noël en particulier. Le texte sent ses années 70. J’en ai gardé vivantes toutes les exigences.
Commençons par lever une ambigüité : ce n’est pas de ses conditions réelles d’existence qu’un être social a conscience, mais, pour reprendre la thèse de Louis Althusser [3], de son rapport nécessairement imaginaire à ces conditions, ou du moins pour reprendre plus justement la formulation d’Althusser, c’est « dans l’idéologie qu’est (..... ) représenté non pas le système des rapports réels qui gouvernent l’existence des individus, mais le rapport imaginaire de ces individus aux rapports réels sous lesquels ils vivent ». On peut ainsi reprendre approximativement notre propos en disant que, par son activité de peintre, entendue comme pratique sociale parmi d’autres, un peintre rend compte de son rapport imaginaire à ses conditions réelles d’existence ; que les relations entre la ‘’société” et la ‘’peinture” passent par l’activité du peintre, être social parmi d’autres, dans le domaine de la peinture, pratique sociale parmi les autres et qu’il convient de savoir comment se matérialise dans le domaine social qu’est la peinture le rapport imaginaire aux rapports réels sous lesquels vit le peintre, dont il était question plus haut. Voyons par exemple comment le « rapport entre l’homme et le monde » s’est trouvé bouleversé dans la deuxième moitié du XIXe siècle : l’évolution de la société conduisait à la concentration des moyens de production industrielle et, sans essayer de suivre pour cet exemple toute la série des conséquences, à une autre image de la ‘’Nature” de sorte que certains parmi les peintres vont travailler à l’extérieur ; c’est là ce qui se trouve résumé dans la boutade de Dolla : « Van Gogh peignant d’après nature un jour de Mistral ne pouvait pas produire un Poussin ». Peindre d’après nature était — est toujours d’ailleurs — un choix idéologiquement significatif qui posait — mais qui ne pose plus — des « problèmes nouveaux » « au sein des conditions prescrites par le domaine intéressé lui même » ; de même, dans la deuxième moitié du XXe siècle la mystification de l’objet (cf. Nouveau réalisme en particulier) doit être étudiée dans ses rapports avec l’extraordinaire développement des forces productives et les contradictions qu’il fait naitre dans les rapports de production ; l’analyse sera la même pour ce qui concerne la volonté de retour à une mythique virginité de l’objet — y compris de l’objet sur lequel travaille le peintre. Mythe de la nature dans la peinture à l’extérieur, mythe du retour aux origines dans la peinture sans chassis, vont d’abord demander aux conditions techniques du travail de s’adapter aux nouvelles conditions dans lesquelles le travail se produit. C’est ce que nous entendions au début de ce texte lorsque nous disions « aussi devrait-on pouvoir affirmer que toute mise en cause des habitudes visuelles, en particulier dans le domaine pictural, passe d’abord par la mise en cause de la technique qui produit les résultats visuels connus (pré-vus) ; cette mise en cause de la technique passe par une pratique de la peinture, rapport que le peintre entretient avec la technique qu’il a pu acquérir », et l’on voit dans quel sens nous aimerions que soit nuancée la notion de « mise en cause ».
[3] L. Althusser, Idéologie et Appareils Idéologiques d’Etat