RAPHAËL MONTICELLI
L’une des premières expositions personnelles de Noël Dolla a eu lieu à la galerie La Bertesca, à Gênes. La préface m’avait donné l’occasion de travailler avec Noël sur les conditions de possibilité du surgissement d’une forme d’art dans l’histoire, et de celle de Noël en particulier. Le texte sent ses années 70. J’en ai gardé vivantes toutes les exigences.
Les changements de la peinture sont — avons-nous dit— au moins symptomatiques des changements de la société, en tout cas de la façon dont les peintres perçoivent ces changements, et, en conséquence, symptomatiques des changements qui interviennent. dans la conscience que les peintres ont de leur situation de peintres. Pour résumer approximativement notre propos nous dirons que les changements dans la société impliquent des changements dans l’image ou l’idée que les peintres se font de cette société, du rôle qu’ils peuvent y jouer, du travail qu’ils peuvent y produire. C’est donc un double problème qui se pose à nous : déterminer tout d’abord quels sont les changements dans la société qui vont, en dernier recours, impliquer les changements dans la peinture ; discerner ensuite quels sont les changements premiers qui s’opèrent dans l’activité même du peintre.
Nous pensons que le peintre, comme n’importe quel être social, ne peut avoir de conscience que par rapport à ses conditions d’existence matérielles, et que la ‘’conscience ” du peintre changera dès lors que changeront ses conditions d’existence matérielles. Qu’’est-ce-qui fait donc changer les conditions d’existence matérielles du peintre, ou de quelque être social que ce soit, sinon les changements qui interviennent dans la situation lorsque le rôle qu’il peut jouer dans l’ensemble social va changer à la suite de ce que l’on pourrait appeler une redistribution des rôles à l’intérieur de la société. Essayons de dépasser maintenant cette métaphore théâtrale pour tenter de savoir à quoi elle fait allusion, c’est à dire ce qu’elle cache. Le rôle que chaque être social tient dans une société lui est attribué en fonction de ce que cette société produit et de la façon dont elle le produit ; c’est à dire qu’il n’est de rôle que dans la place déterminée par les rapports de production correspondant à un certain degré de développement des forces productives matérielles. En d’autres termes il faut commencer par voir quelle place un individu a dans la division du travail, pour pouvoir discuter de sa ‘’conscience”, car c’est cette place qui va déterminer sa conscience, et sa conscience va changer quand la division du travail change sous la pression de nécessités qui prennent leur naissance dans la production. Aussi, loin de parler de mutation de la société et de l’art il conviendrait de penser que l’art change dès lors que change la conscience des artistes, c’est à dire, en dernier recours, dès lors que — sous la pression de nécessités internes — « les forces productives matérielles de la société - entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors » [1]
[1] Marx, critique de l’économie politique, préface p. 4, ed. Sociales