RAPHAËL MONTICELLI
L’une des premières expositions personnelles de Noël Dolla a eu lieu à la galerie La Bertesca, à Gênes. La préface m’avait donné l’occasion de travailler avec Noël sur les conditions de possibilité du surgissement d’une forme d’art dans l’histoire, et de celle de Noël en particulier. Le texte sent ses années 70. J’en ai gardé vivantes toutes les exigences.
Le problème de la peinture se limite en somme d’un coté, à la pratique picturale — rapport d’un peintre avec les données techniques de la peinture —, et de l’autre à ce que la peinture donne à voir — production, par la pratique, de ‘formes’ plus ou moins admises comme « formes de la peinture ». Les processus pratiques y impliquent les formes données à voir, la maîtrise y est maîtrise d’une pratique avant d’être celle des formes : si l’on renverse cette problématique on passera du domaine de la peinture à celui des technologies qui — compte tenu des formes à produire — mettent en place des procédés de fabrication. En somme les technologies visuelles placent au premier rang de leurs préoccupations le résultat à obtenir (prévu : message à communiquer, stimulus à transmettre, dans le but de vendre un produit, de promouvoir une politique, etc...) et lui subordonnent les moyens techniques de production : au contraire dans la peinture il convient de mettre d’abord en avant le contact du peintre avec une matière — technique de la peinture et pratique de cette technique — dont le résultat obtenu est l’indice pas toujours reconnu comme tel au premier abord.
La volonté de donner à voir d’abord des formes trouve ses limites dans les limites du comportement visuel : on sait que ce comportement est acquis et que la forme sera d’autant plus reconnaissable comme telle et comme forme de la peinture qu’elle se rattachera davantage à cet acquis et s’y rangera sans à-coups : quant à la technique picturale, elle sera d’autant moins mise en cause que seront moins mis en cause les résultats auxquels elle doit parvenir et en vue desquels elle s’est constituée. Aussi devrait-on pouvoir affirmer que toute mise en cause des habitudes visuelles, en particulier dans le domaine pictural, passe d’abord par la mise en cause de la technique qui produit les résultats visuels connus (pré-vus) ; cette mise en cause de la technique passe par une pratique de la peinture, rapport que le peintre entretient avec la technique qu’il a pu acquérir. Voilà qui devrait permettre de fonder l’intérêt de la production de notre avant-garde dont Noël Dolla fait partie : elle est au moins symptomatique des perturbations que notre société connait, des transformations, à tous les niveaux, que son évolution impose, des contradictions que ces transformations mettent au jour. Mais il convient de préciser que nous n’en sommes encore qu’au niveau du symptôme, que c’est à tout le moins limiter singulièrement l’intérêt de la peinture que de le fonder sur ce caractère, et il est nécessaire de réaffirmer ici que l’intérêt, et pour tout dire la valeur, d’une pratique particulière, en l’occurence celle de Noël Dolla, ne saurait se fonder exclusivement sur l’appartenance de cette pratique à un mouvement si important et si significatif soit-il ; et pour mieux faire saisir pourquoi nous nous attachons tant au travail de Noël Dolla, il parait nécessaire de revenir à la fois sur les conditions qui ont rendu possible le mouvement et son propos, afin de pouvoir analyser aussi précisément que possible la place qu’y tient le peintre qui nous intéresse ici.
De telles analyses se produisent tous les jours, et sur des modes divers, et si nous nous résolvons à ajouter la nôtre à l’ensemble de celles qui existent c’est qu’il nous semble toujours trop aisé de prétendre que ce que l’on considère comme des perturbations dans la peinture est le résultat de la « mutation du monde moderne », de la « crise de notre civilisation », d’un « déséquilibre entre l’Homme et le monde », où du « développement sans précédent de la technologie ». La simple relation de cause imprécise à effet incertain est insuffisante, et il est important de tenter de reconnaitre comment fonctionne le rapport entre la situation générale de la société et ses conséquences dans tel domaine particulier pour savoir ce qu’un peintre ‘reçoit’ et ce qu’il ‘’apporte”’.