RAPHAËL MONTICELLI
Cette monographie sur Marcel Alocco est parue en 1979 aux éditions Charles le Bouil, collection NDLR.
ALOCCO
Peinture en patchwork
À considérer cette image rompue, patiemment reconstruite (comme d’un enfant incapable de cacher le remontage d’un jouet que son exploration a brisé, dévoyant son rôle et le recomposant pour d’autres découverte), je suis, à la trace du fil, le long va et vient de la main tirant l’aiguille, de la main guidant et palpant le tissu, appesantie sur les différences tactiles des zones diversement colorées ; je remonte à la déchirure, corps à corps, corps à toile encore inachevée dans sa vague ressemblance au sujet ; est-ce à juste titre que j’aboutis à cette image qui ne garde d’un Matisse, d’un Léger, d’un original que l’aspect, comme les traits minima de la reconnaissance ? Fade reproduction endormie dans un livre d’art, que l’œil et la main ont cernée sur 15 cm2, que du geste et du regard on a portée sur une toile avec l’objectif apparent de la déchirer pour la recoudre, l’image n’est-elle donc qu’un prétexte ? Entre l’image et ses moyens, qu’est-ce qui est le plus actif, le plus transformateur ? La réflexion sur l’image ou le heurt avec les moyens ? La mise en œuvre des manipulations ou le travail sur ce que les tableaux et plus généralement tous les objets de notre culture visuelle contiennent comme sens évident ? Ou la peinture n’est-elle pas le lieu où l’image ne peut être pensée hors de moyens qui la permettent, où les moyens ne ne peuvent être pensés hors de ce qu’ils donnent à voir ? Un lieu où se résout l’apparente contradiction entre l’image et ses moyens entre ce qui est donné à voir et ce qui le permet, et dont les contradictions sont ailleurs ?
Voilà sans doute ce qui caractérise la peinture de Marcel Alocco et qui prend, depuis des années, un caractère original dans ce qu’il est convenu d’appeler l’avant-garde : si la peinture doit être comprise comme ce qui résulte des rapports d’un l’individu à des objets, des outils, des pigments, des procédures, elle n’est pas moins, aussi, ce qu’historiquement ses moyens ont donné et donnent à voir. Ainsi la mise en œuvre est à la fois –chez Alocco– mise en œuvre de ce qui est habituellement compris comme outil et de l’image, outil elle-même, fait historiquement constitué et à quoi l’on a socialement rapport.
Aussi rendre compte de la Peinture en Patchwork c’est s’obliger à considérer comment s’est mise en place cette problématique et quelle part elle tient dans la peinture, comment elle se réalise et se transforme dans chaque œuvre particulière, ce qu’elle engage comme réflexion sur la peinture et son rôle.
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