RAPHAËL MONTICELLI
Ce texte présentait une exposition collective, à l’APIAW (Association pour le Progrès Intellectuel et Artistique de la Wallonie) en 1974. Les artistes présentés étaient : Alocco, Chacallis, Charvolen, Isnard, Maccaferri, Massot, Miguel
D’ABORD LA CRISE DU SUJET
La production picturale est. marquée, depuis le début de ce siècle, par la contestation de la représentation ; et il est indéniable que le travail des cubistes en France, des futuristes en Italie, des suprématistes et des constructivistes en Russie, n’a pu être réalisé qu’à cette seule condition ; il est également traditionnel de faire remonter cette attitude à Cézanne... Sans doute est-il prématuré et déplacé de faire l’analyse des raisons de cette contestation
Dès lors, les peintres ne tendent plus vers (ou ne se servent plus de...) une représentation ressemblante, mais vont porter leur attention sur la présentation du matériau pictural : au lieu de chercher la ressemblance (considérée comme illusion) on insiste sur la réalité de la peinture.
Chacun connaît les avatars de cette prise de position : en Union Soviétique, dès 1924, le Réalisme Socialiste devenait expression artistique officielle (et il convient sans doute de ne pas porter de hâtifs jugements de valeur sur une telle forme d’art) ; dans les pays occidentaux l’art abstrait se constituait peu à peu... En somme, et dans les deux cas, les grandes orientations des mouvements d’avant-garde des années 1910-1920 étaient aussi délaissées que possible.
Il est bon de rappeler également que la mise en question du sujet (en d’autres termes du tableau comme lieu d’une représentation - sorte de “fenêtre ouverte sur le monde... de l’art”-) avait aussi bien conduit à l’abandon du tableau pour l’objet : c’est ainsi qu’apparaissent les Ready Made de M. Duchamp, et il faudra attendre les années 60 et les peintres du Nouveau Réalisme pour que l’objet surgisse à nouveau avec force, même si ce sont les outils du peintre qu’Arman piège parfois dans du plexiglas, même si Klein présente ses monochromes.
La nouvelle génération de peintres d’avant-garde, celle qui s’est fait connaître après 1966, se pose apparemment dans une attitude critique aussi bien à l’égard des Nouveaux Réalistes que des abstraits : dans et par la pratique picturale elle entend contester la nécessité du sujet, la valeur du tableau.
Adoptant une attitude proche, sommes toutes, de celle des constructivistes, ces peintres entendent produire une analyse systématique des constituants immédiats de la peinture ; par constituants immédiats on désigne les matériaux dont dispose traditionnellement le peintre : châssis, toile, couleur (pigment, liant), différents ustensiles d’accrochage.
Ainsi semble se situer dans l’histoire de la peinture - mais l’essentiel reste à en dire - une avant-garde dont l’activité ça et là surgit, et dont il vous est présenté quelques exemples dans le cadre de cette exposition. Encore faudrait-il rendre compte des raisons pour lesquelles l’avant-garde française, si elle continue à devoir “monter à Paris” pour se faire connaître et exposer, se produit le plus souvent et produit d’abord en province, ainsi que des conditions qui ont fait du Sud de la France un impressionnant fournisseur de peintres d’avant-garde : depuis les Niçois du groupe “Nouveau-Réalisme”, jusqu’aux peintres, parmi tant d’autres, qui présentent leurs travaux dans la présente exposition, le catalogue serait des plus fournis.
Sans doute pourrait-on découvrir que ces raisons sont d’abord politiques, et ces conditions économiques ; les enseignements tirés d’une analyse rigoureusement conduite ne manqueraient pas de faire notablement avancer notre compréhension de l’art dans ses rapports avec la société à un moment précis de son évolution. Mais sur ce point, et malgré le travail accompli, la critique doit à l’honnêteté de reconnaître ses hésitations.
Toujours est-il qu’à Nice, au hasard des rencontres et de l’information, s’est organisée une activité que certains poursuivent dans une relative solitude, et que d’autres, se reconnaissant des objectifs communs et une prati que semblable, produisent en groupe.
Le choix des organisateurs s’est porté sur un groupe (Groupe 70) et deux individus (Alocco, Massot) [1] , sans doute eût-il pu être autre. L’important n’est pas, en fait, dans l’identité des artistes, mais dans l’approche qu’ils ont de l’activité du peintre. En cela, ils ont valeur d’exemples. Et il suffit, pour présenter l’ensemble de ces travaux, de reprendre l’orientation initialement définie :
un sujet : la matérialité de la peinture
un projet : l’analyse de ses constituants immédiats.
[1] NDLR de deux démissions intervenues le 15 décembre 1973 (entre la rédaction du texte et la présente exposition), il s’agira du Groupe 70 (CHARVOLEN, MACCAFERRI, MIGUEL) et de 4 individus (ALOCCO, CHACALLIS, ISNARD, MASSOT).