RAPHAËL MONTICELLI
Ce texte a été publié en 1991. Il préface l’ouvrage « Échanges, carnets 1986 » de Michel Butor, Z’édition ed, Nice.
approche du continent butor
pour Francine Guibert
I- ouverture
Il n’est pas d’écriture qui ne s’articule au temps et à l’espace ; il ne saurait y en avoir en dehors de ces lieux matériels dans lesquels elle niche et qui, à vrai dire, portent, enveloppent, replient en eux-mêmes la temporalité de la voix. Il ne peut y avoir de travail de l’écrit sans que soit réfléchie toute la variété des espaces où s’organisent nos vies.
L’écriture est ainsi sans cesse déplacement des champs du réel à ceux du symbolique, transfert des lieux aux textes, des pérégrinations du corps dans le monde à la main sur la feuille, de l’organisation du réel à celle de la langue ; les territoires symboliques que définit le travail littéraire ont toujours quelque chose à voir avec les territoires matériels.
Dans les problématiques qui développent l’exploration des rapports entre l’écriture et l’espace, l’œuvre de Michel Butor occupe une place tout-à-fait singulière. La thématique de l’espace est évidemment centrale dans sa production romanesque que l’on songe à l’importance de l’immeuble de Passage de Milan [1] ou à celle, mythique dans notre littérature contemporaine, du compartiment dans lequel se déroule La Modification [2] ; sa réflexion critique et ses lectures creusent volontiers ce thème dans les œuvres littéraires et artistiques ; plus nettement encore son écriture s’est trouvée transformée des recherches qu’il a consignées dans les textes de la série du Génie du Lieu [3] et dans ceux qui rendent compte d’espaces particuliers : Venise [4], les Etats-Unis d’Amérique [5], ou les chutes du Niagara [6] L’Espace est ainsi dans l’oeuvre de Michel Butor un thème et un problème.
Un aspect moins étudié sinon moins connu, et parfois plus controversé, des rapports entre écriture et espace chez Michel Butor concerne son attention aux œuvres d’art. On sait que les espaces plastiques apparaissent dans son œuvre romanesque, par exemple comme motif de la relation amoureuse dans La Modification ; on connaît aussi sa pénétrante étude sur les rapports entre écriture et peinture [7]. Ce que sans doute Michel Butor a développé de plus inédit, c’est le travail en collaboration avec des peintres, inédit par le nombre des artistes avec lesquels il travaille comme par le rôle (ou les rôles) qu’il assigne à son écriture lors de ces collaborations [8]
[1] Passage de Milan, ed de Minuit, Paris 1954
[2] La Modification, ed de Minuit, Paris 1957
[3] Génie du lieu, ed Grasset, Paris 1958, dont les lieux de référence sont Cordoue, Istanbul, Salonique, Delphes, Mallia, Mantoue, Ferrare et l’Egypte ;
Ou, (Le Génie du Lieu 2), ed Gallimard , Paris 1971, dont les lieux de référence sont Paris, Séoul, Le mont Sandia, Angkor, Santa Barbara, entre Bloomfield et Bernalillo, Zuni ;
Boomerang, Le Génie du Lieu 3, ed Gallimard, Paris 1978.
[4] Dans Description de san Marco, ed Gallimard , Paris 1963
[5] Dans Mobile, Etude pour une représentation des Etats Unis, ed Gallimard, Paris 1962
[6] Dans 6 818 000 litres d’eau à la seconde, ed Gallimard, Paris 1965.
[7] Les Mots dans la Peinture, ed Skira, les sentiers de la création, Genève, novembre 1969, repris dans Répertoire IV, ed de Minuit, Paris 1974
[8] Ces œuvres nées du rapport aux espaces plastiques forment un monumental ensemble de quelque 500 pièces liant le nom de Michel Butor à plus de 150 autres. Impossible de les reprendre tous ici bien sûr. Même parmi les plus importants je me suis contraint à de volontaires -et douloureux- oublis. C’est le cas par exemple pour Dotremont et Alechinsky. On pourra voir à ce propos les ouvrages suivants :