Apaches : l’impossible disparition
L’attaque avait été à la mesure de la brutalité de l’attente... Non pas étonnante et rude, mais perfide, lente ou réitérée, de part et d’autre organisée, mise en scène et répétée, redite, sorte de complaisance envers l’atrocité. Brutale, oui, mais non soudaine. Mais les attaques ou la mort ne sont jamais soudaines : longues préparation des condamnés à mort entre le moment où l’arrêt est rendu et celui où leur tête tombe. Longues agonies qui durent la vie de chacun et ne s’achèvent en fait que lorsque cessent toutes les déperditions. Les préparatifs avaient duré ce que l’attaque devait durer. Et les Apaches avaient distillé la mort contenue dans leur séculaire attente. Et ils avaient, en retour, reçu la mort cultivée par des siècles de civilisation. Chaque scalp, chaque tête coupée, chaque corps écorché, chaque corps lacéré, démembré, écartelé, brûlé, ne venait que comme unité dans l’addition des préparatifs d’attente. Et les gestes de la mort avaient la lenteur lourde de chorégraphies sacrées. Il fallait sentir le sabre pénétrer les chairs ; il fallait goûter la résistance des corps, les cris noyés de sang et de terre, la puanteur de la peur avant celle de la putréfaction ; il fallait jouit du grésillement des tissus, du murmure de sources jaillissant de veines ouvertes et d’artères béantes. Il fallait entendre, au rythme sourd des flèches amollissant les corps, des masses écrasant des crânes, des corps heurtant des corps dans des étreintes mortelles, et la douceur inattendue du couteau pénétrant des gorges, remuant des viscères, et la douceur aussi, chaude et fade, des écoulements. Qui pouvait encore savoir si le sang dont il se gorgeait était celui de l’autre ou le sien ?... Il provoquait la même ivresse, le même oubli, et, en même temps, la même angoisse satisfaite, rayonnante, repue. Chacun se gonflait de la mort des autres et la traînait après soi, et rêvait de terres bien plus prospères, fumées de sang et de pourrissements :