RAPHAEL MONTICELLI
QUESTION DE FORMAT
Ce texte accompagne 8 estampes d’Alain Lestié. Il a été publié dans la monographie que lui a consacrée La Diane française ed. Nice, collection L’Art au carré, 2015
QUESTION D’ASCÈSE
L’artiste s’est dépouillé de toute illusion, toute séduction, toute fioriture. Il est penché sur sa feuille de papier -ou ce rectangle de bois qu’il va devoir graver. Dans sa main, un crayon... Le même papier. Le même format. Le même crayon.
Peut-on imaginer le temps et les gestes ? Imagine-t-on la position de l’artiste ? Imagine-t-on les tensions du corps ? Les doigts et la main, le bras et l’épaule ne sont pas seuls sollicités. Imagine-t-on les relations des yeux au papier ? Pour obscurcir, estomper, préserver la surface le crayon et la gomme sont des outils précaires et laborieux. Ils ne permettent aucune impétuosité. Ils exigent de l’insistance, de l’abandon. Imagine-t-on les pensées de l’artiste dessinant ? Le travail de l’esprit tenant le corps en laisse ou par lui tenu ? La pensée, le rêve et le corps à l’unisson des doigts et des bras ? Imagine-t-on cette forme artistique de la méditation ?
Le travail de Lestié engage le corps. Pourtant, Jean-Marie Pontevia en fait quelque part la remarque, le corps de l’artiste n’est pas visible dans l’œuvre... Et en effet : le corps, bien que longuement et lourdement engagé n’est pas visible. Cette invisibilité est une mise en retrait, pas une absence. Ce que l’artiste met en retrait, c’est l’exaltation de l’individu qui œuvre, et non seulement son corps, mais ses affects et son ego. Parce que toute sa démarche, suivant rigoureusement des règles strictes, s’inscrit dans cet oubli de soi, elle peut renvoyer le spectateur à lui-même, à ses représentations, à sa vision du monde et de l’art : l’œuvre qu’il construit, paradoxale et déroutante, est ouverte à toutes les aventures de l’altérité.