RAPHAEL MONTICELLI
QUESTION DE FORMAT
Ce texte accompagne 8 estampes d’Alain Lestié. Il a été publié dans la monographie que lui a consacrée La Diane française ed. Nice, collection L’Art au carré, 2015
LA QUESTION DU CADRE
L’encadrement apparaît d’abord comme une protection des oeuvres. Il constitue une frontière, focalise le regard sur le tableau, le dessin ou l’estampe ; il met parfois la surface elle-même à l’abri des manipulations. Pour les 8 estampes de ce livre, cette protection matérielle, c’est le livre lui même, sa couverture, son étui. On retrouve pourtant le cadre, représenté dans la plupart des gravures : en son entier, il se développe sur les contours du papier ; multiplié, il délimite différents espaces de travail ; fragmenté, il devient élément graphique participant à la construction. Ainsi le cadre ne joue pas un rôle utilitaire : il fait partie des images et des symbole, du vocabulaire plastique, de l’artiste.
Ce recours à la représentation du cadre dans l’oeuvre est l’une des constantes du travail et de la réflexion de Lestié. On le trouve dans sa peinture dès les années 60, puis, à partir des années 90, dans ses dessins sur papier.
La raison en est que le cadre, qui marque les limites du format et en redouble la forme, a toujours joué dans l’art plus qu’un simple rôle utilitaire. L’encadrement classique assume, en plus, au moins un rôle ornemental, exaltant, parfois contrariant, l’esthétique de l’oeuvre ; il joue de séduction ou affirme la puissance du collectionneur et la valeur du tableau. Il renforce, en outre, cette image de la peinture comme fenêtre ou porte ouvertes sur un monde différent .
Dans l’art moderne et contemporain, le cadre peut devenir l’objet du travail de l’artiste. Certains le traitent comme un élément à part entière du tableau, l’intègrent et la peinture déborde alors sur lui. D’autres le font disparaître et refusent toute zone frontière entre le mur et l’oeuvre, comme si l’oeuvre était non pas un objet posé sur un mur, mais comme une partie de l’espace où elle est placée, ou comme si elle pouvait se prolonger sur le mur où elle apparaît. La forme radicale de cette volonté de faire disparaître le cadre apparaît chez les artistes qui mettent en cause le format orthogonal, notamment quand il ne travaillent plus la toile sur châssis.
On comprend que, du fait même de son rapport au format, Lestié considère les limites matérielles de l’oeuvre, les rapports entre intérieur et extérieur du tableau ou du dessin, le marquage de la frontière entre oeuvre et mur, non comme données intangibles, ou comme faits secondaires, mais comme éléments plastiques à part entière, comme problèmes dont chaque oeuvre constitue le traitement, une proposition de réponse.
Si le spectateur peut ne pas être conscient du traitement que Lestié fait subir au format, il est immédiatement confronté à ce qu’il fait du cadre, et suivant, d’une oeuvre à l’autre, les images que propose l’artiste, il est immanquablement conduit à se référer au cadre réel -et absent- que l’artiste représente. En outre, ces représentations -cadre en son entier, cadre désarticulé, cadre suggéré- et leur positionnement heurtent l’idée commune que nous nous faisons de l’encadrement. À nouveau, c’est en représentant le cadre, et non en l’intégrant ou en l’éliminant, que Lestié traite le problème. Il nous conduit à penser que le cadre, tout comme le format, font partie des éléments qui construisent ce que nous appelons « art » ou « peinture », et la représentation que nous nous en faisons. qu’ils participent de son fonctionnement aussi bien pratique que symbolique.