RAPHAEL MONTICELLI
12 fictions pour Anne-Valérie Gasc
UNE
Il faut dire les rêves de Madame. Chargés de poudres. On pourrait les dire scintillants. Madame les poursuit, les traque, les retient. Ses doigts et ses lèvres en sont colorés. Et dans ses yeux sans cesse passent.
C’est à Graz, quevous l’avez rencontrée la première fois : vous êtes entré dans l’ascenseur du Schlossber1. Elle était là . Elle prenait beaucoup de place avec sa baudruche multicolore et le vidéaste qui l’accompagnait. Elle vous a invité à entrer, s’est excusée « I take a lot of place with my balloon » vous a-t-elle dit « I’m sorry, it’s my work », a-t-elle ajouté. Vous avez à peine pris le temps de vous dire que c’était un curieux travail. Mais travail. « Y’re an artist ? » avez-vous demandé, mal assuré. L’ascenseur s’évanouissait ; le ballon vous fascinait ; vous n’osiez regarder ni le vidéaste (vous glissiez les yeux par dessus l’objectif), ni la fille (elle souriait derrière son ballon). L’ascenseur s’est arrêté très vite. Vite. Trop vite. Vraiment.
Dans l’air qui se filigrane
Flambent les tocsins de Budapest
Des conquérants sans territoire
Eclaboussent les devantures
L’eau des jardins désenchantés
s’effiloche en nuage
(Et revienne en déferlant le chant des femmes en guerre
dressée tendue j’inspire et parle
ailes mes yeux ouverts ma vie )
1 « Space for » performance, Graz, 2003