BEATRICE MACHET
Périple chinois
► vers le sommaire des contributions de Béatrice Machet
"L’idéal confucéen repose sur la perception du caractère fondamentalement neutre de toute nature - celle du monde comme celle de l’homme. On ne peut trouver d’autre ancrage à la réalité que dans cette valeur du neutre : de ce qui ne penche pas plus dans un sens que dans un autre, de ce qui ne se caractérise pas plus d’une façon que d’une autre, mais garde complète sa capacité d’essor. [...] Du côté de ce qui est ponctuel et se montre : la "saveur" ; de l’autre, ce dont la propriété demeure diffuse et enfouie, mais est d’autant plus opérante : la "fadeur". François Jullien
MACAO GRISE EPOPEE
HAME-HAA
il y avait si peu de temps
une fois
au début
comme encore
une coquille nuageuse
et des sons
descendants
là où toujours j’arrrive
radieuse
on pourrait penser
que je porte couronne
et
pour finir
des paupières soyeuses
fermeront sur le gris du rêve
Hong-Kong d’abord....
Déposée par un bus sur le quai du ciel
je cherche l’embarcadère 42
achromatique....
Ainsi qu’il est dit
le mélange des couleurs complémentaires mène
au gris
un instant je me demande si
c’est en les soustrayant ou bien en les additionnant
une confusion à mettre sur le compte
du décalage horaire
douce somnolence
Gris léger
Le ferry entre dans le port de Macao
aucune visibilité
des murailles et du brouillard
le flux des passagers
Devinée
la rivière Perle
son embouchure
grande ouverte
sur le chaos frénétique
agitation confusion
la nuit tôt tombée
gris un nom pour la qualité
de la température et de l’humidité
une hypothèse vivante dans l’esprit demeuré vif
à se construire un langage
petit matin accrochée aux grilles du balcon d’en face
une cage une perruche se rebelle
quelque chose me signifie
je suis l’oiseau dans la ville qui fera de mes ailes un voile gris
clair
En ce moment un fort bruit de fond
toutes fréquences par ailleurs égales
le climatiseur
la rue surpeuplée
le voisin de palier
les scooters plein gaz
me percent la matière grise
l’ embuscade invisible d’un espace visible
menace au travers du gris rideau de l’air
reflets sur les vitres
gris souris gris chrome gris charbon
nuageux
une humeur boudeuse barbouillée
Neuf heures---locales
Une maladie
"des os de verre"
A quel degré n’en suis-je pas atteinte
je vole en éclats dans le gris argenté du matin
miroir mon beau miroir....
...dis-moi si
est concentré ici le tout
de l’expérience humaine....
Travassa de Bon Jesus---Gris granit
je monte la rue il la descend
nous nous croisons
il fuit mon regard
comme absenté il va petit et penché
je pense être plus âgée que lui
personne ne le pourrait croire
il longe les murs gris passe-muraille
chinois traditionnel pour ma conscience
se révélant à moi-même plus que jamais occidentalisée
de ce trouble se dégage
sinon limpidité
une forme de lucidité
retour à l’appartement
scandé par les talons
claquant sur les pavés noirs et blancs
importés du Portugal
dessinant des vagues au sol
des vaisseaux
et la nave va et marée humaine
me porte
Gris Milan Kundera
le livre du rire et de l’oubli
voilà qui va bien à Macao
voilà où je trouve le mot “litost” quasi intraduisible
mais certainement l’auteur lui accorderait une essentialité grise
le tragique de la solitide humaine
le comique absurde
le ridicule
le rien qu’est et auquel doit faire face l’humain laugh and forget it
dans la légèreté de l’être
jusqu’à l’insoutenable
nous chantions
et bien dansons maintenant
ris et oublie
et.....
le gris de l’âme et ses ondes
le refus de s’apesantir et
l’ironie en forme de politesse
le désespoir en forme d’immortalité
témoigne ad vitam eternam de l’inconvénient d’être né …
sous les pavés : gris plage
le nom de la rue même pour le suggérer
Avenida da Praïa.... difficile à éviter
le marteau piqueur vrille sa mèche dans les tympans
une tranchée dans le trottoir
mosaique noire et blanche démantelée
et dessous un bouillonnement boueux
le sable gris éructe sa révolte
reclaimed land---terre gagnée sur la mer pour installer
un édifice luxueux
en rénovation déjà
des échafaudages en bambou entourent sa carcasse
dépecée de l’intérieur comme de l’extérieur
des allées-venues se succèdent entre couloirs et hall
des gravats et rebus des planches et de la moquette
des cartons d’habits des sacs de toutes tailles
autant de pochettes surprises
que des mains
de jeunes à vieilles
avides ou nonchalentes
fouillent
en extirpent les substantifiques moelles
et chargent leurs trésors sur des chariots rouillés
qui traverseront la ville en cahotant
ajoutant au vacarme
leurs notes brinquebalantes
jusque très tard dans la nuit
autres roulettes autres casinos
rien ne va plus et chacun à son jeu
gagne son peu
de gris
volutes d’encens aux coins des porches
Elle est retouvée .... quoi ....
....la grise ontologie de Descartes....
c’est l’ombre des rickshaws en allée par les rues étroites
elle doit fuir
l’agressivité des vespas
la ruche humaine
obéit à des instincts
à des logiques
que sa rationalité n’envisage pas
et dieu au milieu
cherche sa voie
trouve
des voix
physiques et méta
dis-connectées
disjonctées
une évaporation structurale
au dessus d’un flot chaotique
un parfum d’infini
version asiatique
c’est tout ce que j’en peux comprendre
de sens
quand à ma conscience
ne pourrait pas dire je suis
ni même j’y suis
perceptions méditées mènent à l’illusion
la connaissance abdique
la science projette
et dans l’ombre qui ne s’avoue pas
elle se dispense
d’être moi
la grise
mine
de rien
l’eau
sa fadeur
l’insipidité
jusqu’au gris associé
à comprendre comme demeure
elle est retrouvée quoi la plénitude
c’est le gris allé avec l’écoulement des eaux
imprégnation infusion processus du temps qui passe
la valeur poétique
se dépose
gris limon des mots
matérialité
harmonisant l’entre des pôles
polyphonie polysémie polychromie polyvalence
est-ce fade est-ce gris l’un dans l’autre et l’autre dans l’un
combinaisons à l’infini pour que jamais ne s’ennuie
l’esprit humain
dont la nature
toute la nature
serait d’être
complétude par indétermination
sans saveur ou bien avec toutes
sans hypertrophie d’aucune
jusqu’au sans relief
la plénitude se déploie à partir de la platitude
un vague sourire désolé
une impression fugace
mais tenace
de fraîcheur
Rua do mercadores
chapeaux de paille sur les têtes baissées
des femmes
la moitié d’entre elles masquées
tente d’échapper aux odeurs à la polution
à la contagion
sans âge
un balai dans la main droite
une pelle à long manche dans la main gauche
ramassent les rebus de prospérité
jetés à terre
population des résidents presque cinq cents mille
population des touristes
en ne comptant que ceux arrivant de la Chine continentale 4 millions par an
soit dix mille par jour en moyenne
papiers plus ou moins gras écrits en trois langues minimum
Cantonnais Portuguais et Anglais
logos slogans publicitaires jonchent les pavés glissants
emballages divers
de la nourriture basique aux produits de luxe
les diverses strates de la société
foulées aux pieds
le vin ne sera pas tiré
dans les vitines tout brille
les balayeuses s’en trouvent éblouies
une question me traverse l’esprit que
je ne peux pas poser elles
ne me comprendraient pas
ont-elles jamais eu une enfance ?
A l’heure de pointe
Un écriteau en carton annonce vingt pacatas
plus des idéogrammes tracés au feutre
un tabouret rudimentaire pour les clients
quelques uns font la queue
de tous les âges
animés par le désir d’emporter un souvenir
Sur les marches de la calçada
adossé contre le mur de la poste
en hauteur par rapport aux piétons
un homme tire des portraits
au crayon
ni caricaturiste ni cartooniste
en quinze minutes montre en main
il croque les visages
plus ou moins bridés plus ou moins foncés
et j’essaie de deviner de quelles provinces
de la grande Chine
sont originaires les passants
encombrés de leurs nombreux paquets
ils ont acheté donc ils sont
Le temps d’une pause d’une voix péremptoire
il me dit en estropiant la langue anglaise
qui est Thaï qui est Philippin qui est Pékinois
qui est de Shanghai
qui est mandchou
puis relevant le sourcil
son visage exprime la curiosité
dans son regard la demande non formulée
que je lui rende le même service ....
Blanc scandinave
Britannique
Américain
Italien
Français
.............. les seuls qu’il reconnaisse sont les Portugais et les Brésiliens..........
Gris cendre
Dévotions
et partage
Tao bouddhisme animisme
pas de jaloux
tous ensemble
représentés dans les temples
dans le monde des dragons des sorcières et des serpents
vivent les morts
ils se débrouillent avec le puzzle de leur vie
récompense ou punition
ici et dans l’après
peur des dieux et sainteté des comportements
sont pris en compte
Kun Lam la déesse de la miséricorde
Sakyamuni Amitabha
et tant d’autres
chaque dieu prenant à sa charge une année
du calendrier Chinois
impressions pêle-mêle
Fung shui le système géomantique
les lions gardent les portes
cinq vases rituels
autels
lieux sacrés
gongs et percussions
chapelles dédiées aux morts
plaques funéraires
logement des gardiens du temple...
l’architecture est un accomplissement sophistiqué
salles de prières cours pavillons
passages sinueux et portes appelées de lune jardins miniatures
toits de tuiles
A Lin Kai Miu
la fumée du temple pleure les pertes
les dieux aux visages sombres protègent
contre le feu
Plus
le dieu singe
et des milliers d’autres deités plus
le bien voyant le bien entendant
oeil et oreilles favorables
les dieux de la soixantième année
six pusas boudhistes plus
Kwan Taï
et encore ....plus
Alors ....
Que manque-t-il ?
Est-ce espace est-ce temps
est-ce espace-temps
je veux dire cette étincelle
qu’est
et qui fait une vie ?
Je veux dire joie libre
quelque chose brillant mieux que
les lumières artificielles de la civilisation post-moderne.
Ce qui manque ....
Depuis la baie vitrée
au cinquante neuvième étage je suis
témoin d’un feu d’artifice géant
espace froid temps réduit
les météores d’automne tombent sur les eaux mais ne feront jamais corps ensemble chair tiède espace torride
l’éternité en tant que donnée mesurant la durée
Ce qui manque...
Une flamme
servante sacrée
marche maintenant sur l’immense pont
entre toi et moi
des bougies en mains pour t’attirer
sauge sauvage son parfum dans l’air
pour me convaincre de traverser
Comme tu le sais l’étincelle d’amour ne manque pas pourvu que
tu acceptes l’imagination
elle fait le travail
tout amour est une représentation
Ce qui manque
la rosée
tôt le matin pas une goutte pas une larme pas un grain ni d’eau ni de lumière
Ce qui manque
l’espoir
après cette pensée venue traverser mon esprit
la vie est suspendue à l’infinité de non-vie
une éternité pour en rire une éternité pour pleurer
temps et espace
sont-ils le fil le souterrain le pont le passage
pour aller de la vie à la non-vie
La vie est
un processus seulement
pendant le temps de laquelle la non-vie se recycle
une cure de jouvence
un gris maquillage
L’esprit plein de grottes
plis et rides dans son calcaire
Que manque-t-il
espace-temps temps-espace un monde bidimensionnel
qu’élever
comment dresser ...
à partir de ce rêve plat le paysage n’offrira pas
de transcendance
mais
l’intensité d’être tout
commencement du temps
dans notre chambre imaginative
dans l’obscurité d’un coeur aimant d’un coeur aimé
ce qui manque est-ce brûler
est-ce pouvoir magique est-ce une théorie de la création
est-ce la prise sur un non-bord de l’infini
cette métaphore de l’étincelle
ce corps étincelle d’une vie
ce qui manque
un espace intérieur un temps
de permettre au feu que ...
ta voix procure l’harmonie
que … dehors et dedans ne soient plus qu’un
n’est-ce pas le (bou)lot de toute étincelle
de chaque mot
d’allumer et de donner vie
de permettre au feu
de se reposer
il a besoin
de nous
un nuage de fumée ne manque pas si
non désiré
aucune poussière comme la mort du
désir
et voyez l’étincelle soudaine de solitude
couchée sur papier
un aimant de sensitivité
ce poème vivant au travers
de l’étincelle
rien ne manque
La vie retient l’épique jusqu’à la fin
l’épique est le sens de
la bonne humeur
de
générations
combien
laquelle compte le plus dans les mémoires
laquelle s’est montrée la plus grise
quel lustre laissé
sur sa peau quels muscles
dessous
le gris me rendrait-il réelle
depuis l’ombre vers les nuances
depuis le sommeil vers le rêve
du besoin vers l’extinction des désirs
de chargé à débarrassé
au niveau des poteries exposées au musée intégrer quelque chose comme
divination
boule de cristal
Veillée de Noël
flashs votifs et sapins artificiels
pas de cloches
pas de klaxons
mais des navires fantômes
un drame brumeux et dans son épaisseur
laisser être
laisser venir
l’ère grise
facile de savoir que la cité est entrée dans le troisième âge
toute pilosité lui est grise jusqu’à blanche
après l’enfance et l’âge adulte
la vieillesse montre ses cheveux
un poivre envahi de sel
et s’en sera fini
de la fadeur
pas du gris
Béatrice Machet
Messages
1. MACAO, grise épopée, 24 février 2013, 17:09, par namaste83
Bonjour Béâtrice Machet,
Je viens de découvrir votre é- cri - ture
la magie est là
Je suis enseignante à Brignoles. Nous sommes voisines.
Dans le cadre du printemps des poètes( mars 2013), je cherche des idées pour mes élèves de ce2.
A ma grande joie, j’ai lu dans votre biographie que vous avez partagé votre art à celui de la musique avec Eric B. notamment( en 2009).
La magie opère encore : Eric B. est un collègue et travaille dans mon école.
Je serai ravie d’entrer en contact avec vous afin d’imaginer et de réaliser un projet autour de la poésie où la voix et la musique se mêlent, se démêlent et font écho.
J’espère que vous lirez ce message.
Merci
Christine (namaste83)
1. MACAO, grise épopée, 25 février 2013, 06:55, par Béatrice Machet
Bonjour Christine et merci de votre message, c’est agréable à lire !
Je serais ravie de vous rencontrer, de réfléchir avec vous comment poésie (voix, souffle) et musique s’entremêlent... le plus tôt que je puisse faire c’est mai 2013, début mai serait très bien....Car je suis en Chine au moment où je vous écris, retour en France fin avril avec une lecture à Marseille le 28 et quelques obligations familiales le 30 avril et premier mai.
Je pourrais aussi vous expliquer mon expérience de travail avec les enfants du primaire... Bref ! le premier pas est fait, le seuil est franchi !Nos routes vont se croiser j’en suis sûre. Mon adresse en France est 2065 route de Lac, 83570 Carcès. mon email : machet.b@wanadoo.fr
Au plaisir donc de vous voir, de vous lire
Cordialement Béatrice