Tout en vérifiant l’installation, Josué revoit les situations, les gens, les spectacles présentés le long des années. Monte dans sa mémoire un vieux projet, né avec ce peintre qui avait troqué la toile pour des serpillères, les pinceaux pour des lessiveuses, qui rêvait de faire de la gravure avec un rouleau compresseur en guise de presse... Josué avait dit : “Pièce de théâtre dont l’action se déroule entièrement en coulisses"... Ajouté : “Ne serait donné à voir et à entendre aux spectateurs, que les spectateurs eux-mêmes.” Il sourit. "La première phrase d’un roman contient son programme d’écriture, dit-on... C’était ça ma première phrase... Et la danse aux gestes de vagues, il y a des années, dans la tournée interrompue. Il y avait ce personnage, Démodocos. Le poète. Dans l’Odyssée, il fait se lever de la salle la voix d’Ulysse. "Je suis cet Ulysse dont tu parles, dit Ulysse à Démodocos... Et je vais te raconter l’histoire d’Ulysse...". Démodocos... "Démo", on dirait “peuple”... Démodocos. Qui donne voix au peuple des Ulysses... Derrière le fond de scène, des échafaudages en aluminium brossé noir. Solides. Légers. Peu de prise au regard, à la lumière. Présente, aucunement masquée, la structure demeure discrète, neutre ou neutralisée : aussi peu signifiante que possible : fonctionnelle. Derrière le théatre, au dos des spectateurs, les Resplendissantes. On sent leur masse dans la nuit.. Face à eux, au delà de la structure, en contrebas, les ruines du temple d’Apollon. Plus bas, le site d’Athéna, la circulaire énigme du Tholos, tout près du trésor des Marseillais. Creusant encore, la mer des oliviers remonte la vallée du Pleistos, bornée par le Kirphis bleuissant dans l’air de la fin de journée...Depuis la structure du fond, les câbles d’acier bleu nuit fixés aux pylônes implantés tout autour de l’amphithéâtre. Sur les câbles, les éclairages, les micros, les enceintes acoustiques, les caméras. Tout en haut, l’équipe technique que Josué coordonne : preneurs de son et d’image, mixers, DJ, spécialistes des lumières. Ce soir le cercle s’élargira dans la nuit. Nous troublerons son faux silence. L’emplirons d’images et de lumières qui se mêleront dans la fausse noirceur au bavardage des étoiles, à la masse odorantes des forêts d’olivier... Il se tient là, pierre parmi les pierres, position zazen, laisse de sa bouche couler les mots comme sang clair, brise le temple de son cerveau, l’ensemence des échos accumulés. Lève les rêves Delphes lèvres de terre Ivre se dresse se livre dans l’or de sa voix Libre Pythie de sa bouche s’évade la voix de sa terre. Autres rêves. AOI