RAPHAËL MONTICELLI
ART ET TERRITOIRE Durant l’été 2010, Miguel propose deux réalisations monumentales complémentaires : l’occupation d’une salle du château-musée de Cagnes sur mer (dans le cadre de la biennale de l’UMAM) ; l’habillage d’un angle de bâtiment dans une exposition personnelle que lui propose le domaine de Torre Fornello, aux alentours de Piacenza. Dans les deux cas, le projet de l’artiste est de prendre en compte l’architecture particulière d’un espace bâti et de réaliser une œuvre en dialogue avec la réalité du lieu où elle s’inscrit. À Cagnes, il s’agit de faire écho à la structure d’un intérieur traditionnel ; à Piacenza, de s’intégrer à l’extérieur de l’espace architectural dans un environnement agricole. Attaché à une question de structure, l’ensemble présenté à Cagnes se développe comme en contrepoint du bâti à travers la pièce et se décline en bois, béton et pigments noirs. Marquant l’angle d’un bâtiment de vie et de travail dans un territoire viticole émilien, l’œuvre qui restera en place à Torre Fornello est composée d’une trentaine de briques en béton armé de 50 cm sur 20 cm et 5 cm d’épaisseur, incluant chacune un cep de vigne scié longitudinalement et ajustées de manière à épouser l’angle qui leur sert de modèle. Entre béton et bois, une montée chromatique reprend les couleurs de la terre au ciel en passant par les colorations de la vigne le long des saisons. Dans les deux cas, le projet artistique est clair : il donne forme plastique à la relation que nous entretenons avec des espaces humainement organisés, en utilisant des éléments saisis dans ces espaces mêmes ou, au moins, dictés par eux, interprétés à partir d’eux. On voit que la thématique choisie s’inscrit dans de multiples traditions. Sans remonter jusqu’aux préoccupations de l’art pariétal ou des fresquistes depuis le Moyen-Âge occidental (avec quoi, cependant, l’artiste est bien en dialogue), le travail de Miguel est, par exemple, l’héritier direct des peintres d’intérieurs et des paysagistes. Aux traditions de l’art moderne, il reprend l’utilisation, dans la peinture, de matériaux extérieurs à elle. Des avant-gardes de la deuxième moitié du XXe siècle, auxquelles il participa en son temps, il retient, par exemple, la mise en cause des genres artistiques, le recours à des procédures non-artistiques, la diversification des outils, des savoir-faire et du métier, la notion de processus et la mise au second plan des préoccupations esthétiques. Par certains aspects, enfin, le travail de Miguel est ici parent des mouvements qui lui sont contemporains : minimalisme et conceptuel, land art, arte povera, installations et jusqu’à certaines préoccupations des nouvelles figurations Les différences, l’apport, sont tout aussi remarquables : ainsi Miguel délaisse ainsi la notion de paysage, avec ce qu’elle contient de spectacle et de centration sur le regard de l’artiste et de contemplation du regardeur, au profit de celle de « territoire » avec ce qu’elle suppose de volonté et d’organisation humaine, de présence du corps agissant et œuvrant. Dans cette même optique, Il n’utilise pas les moyens plastiques, graphiques, photographiques, vidéo, pour rendre compte d’une réalité visible, et, d’une certaine façon, réfute tous les moyens, traditionnels ou contemporains de mise à distance de l’objet représenté ; cette position est évidente dans la réalisation de Torre Fornello : Miguel colle au plus près de ce qu’il faut bien appeler son « modèle » et en donne une représentation « grandeur nature ». Ainsi apparaît un autre apport du travail de Miguel : les « modèles » de l’art y sont « agissants » : dans ce cas encore la réalisation de Torre Fornello explicite ce propos : la forme du travail de l’artiste est directement donnée par la structure du bâtiment, comme sans intermédiaires, une partie de ses constituants, directement prise dans la production du territoire. En ce sens Miguel est fondé à dire que, dans son travail, le modèle est non seulement ce qui est représenté, mais ce qui représente, qu’il est en même temps objet et outil. Dans un entretien avec Charvolen daté de 1979, les deux artistes définissent leurs orientations artistiques. À Charvolen qui s’interroge sur la relation entre processus de la peinture et systèmes de représentation et qui insiste sur son intérêt pour les écarts entre les résultats selon les modalités de mise en œuvre, Miguel répond : « Voilà... Ecarts. Dès qu’on parle de modèle on pense à représenta-tion dans le sens de ressemblance. En fait ce qui est important ou intéressant c’est l’écart. D’un coté, parce que nous sommes remplis, formés, de modèles, il est difficile de penser des pratiques de la non-représentation, d’un autre coté parce que le problème n’est pas celui du modèle passif, ou d’un rapport passif au modèle, mais de savoir comment on l’uti-lise, parce que le problème c’est de savoir comment la pratique de la pein-ture transforme le regard sur le modèle, il est faux de penser les pratiques de la représentation comme des pratiques de la ressemblance. Moi c’est pour ça que je ne trouve pas nécessaire de revenir à la figuration pour traiter la représentation. »