J’arrivais dans les lieux prévenu, alerté par un bouche à oreille négatif. Et confirmé par l’un de nos amis qui comme moi connaît et suit le travail depuis les premières expositions, lequel, bien que venu jusqu’à Vence, dans la Galerie Chave où nous regardions une exposition Max Ernst, me disait renoncer à voir cette « traversée des objets ». Ainsi va la rumeur.
J’allais voir. Les organisateurs ont eu sans aucun doute l’estomac plus grand que les yeux. « La traversée des objets » pouvait se concevoir avec des repères bien choisis moins nombreux. Pourquoi doubler ou tripler de façons moins convaincantes ce qui est déjà vu ? A trop vouloir montrer le regard est brouillé. Là où une œuvre centrale avale le volume, et deux autres occuperaient toute la surface des murs, nous subissons l’interférence d’une dizaine d’objets. Sauf dans la Chapelle des Pénitents Blancs, avec les œuvres des années cinquante à l’accrochage plus classique, la respiration manque. Les productions d’Arman sont dévoreuses d’espace.
Productions, car les pièces échappent aux définitions académiques, dont les techniques vont au cours des temps de la plate peinture (Cachets) à la tranche de polymère où s’inclut la couleur (Tubes de peinture), des objets globalisés en une sculpture (Accumulations) jusqu’à l’environnement (Pianos découpés)... Variations nécessaires tant elles s’inscrivent dans une continuité logique qui justifierait ici, comme dans beaucoup de rétrospective, une progression chronologique, même si les reprises tardives de certaines démarches ne sont pas sans intérêt. La division adoptée par Tita Reut, conceptrice de l’exposition, ouvre un point de vu original sur l’œuvre, en est une clé de lecture efficace par le texte, mais n’est guère didactique dans les salles surchargées : le château est un beau lieu d’exposition mais l’accumulation d’accumulations y est indigeste. Des œuvres d’Arman, Zia Mirabdolbaghi écrit justement qu’elles « appartiennent au domaine de la présentation plutôt que de la représentation pure ». La qualité de la mise en scène n’en est que plus importante. On rêve d’un développement en trois châteaux... que ce travail mérite.
Soucieux, Arman, de la plasticité de ses productions même dans le plus grand fouillis accumulatoire, prolifique dans la beauté des ruines, romantique au fond : traces d’objets, poubelles, multiplications du même (Ah ! les beaux tubes de couleurs écrasés...) débris d’instruments de musique explosés de colère ou brûlés (de beaux restes !) toujours, malgré une logique d’abondance de productions et les alibis « socio-anthropologiques », attentif à l’ombre, à la couleur, à la forme, avec dans ce flot à chaque période au moins les quelques bonnes pièces qui témoignent d’une curiosité renouvelée et réussie. Pas toujours peintre, pas toujours sculpteur, mais toujours faisant sens, toujours artiste.
« La traversée des objets » n’est sans doute pas ce qu’on appelle habituellement une « belle exposition » mais il est question d’une œuvre, ce qui importe davantage. A voir, donc, en attendant des espaces mieux adaptés à la démesure du projet.
( Arman, Château de Villeneuve, 2 Place du Frêne. Du mardi au dimanche de 10h à 18h.Jusqu’à mars 2001. Max Ernst, Galerie Chave, Rue Isnard, Vence, juillet-octobre.)
La Strada n°18 octobre 2000