
- Bernard Noël en débat Lodève Voix de la Méditerranées 2010
Raphaël Monticelli 30 juin ►
Bernard Noël 2 juillet►
Raphaël Monticelli 4 juillet ►
Bernard Noël 6 juillet ►
Le 2 juillet 2000
Cher Raphaël Monticelli
Vous avez dit l’essentiel : il ne me reste donc qu’à souligner certains de vos propos. Et d’abord celui qui concerne l’altérité que vous trouvez fondamentale dans la démarche des Bruits du Monde. Toute oeuvre vit de la rencontre de l’Autre, mais si chacune a ce but -et en contient l’attente- aucune n’avait à ce point impliqué l’Autre dans sa constitution aussi bien que dans sa matière au point de se mettre dans sa dépendance. Il existe des oeuvres qui, par collages ou prélèvements, empruntent tous leurs matériaux, mais l’auteur en maîtrise le choix et l’organisation finale. Bernadette a pris le risque de faire appel à l’émotion de l’Autre un jour précis et l’a prié d’en être en plus l’auteur en le priant de l’exprimer. Au fond, elle ne s’est réservée que d’être l’inventeur d’un paysage expressif fixé à 1000 jours, mais, ce faisant elle a fait de ce territoire temporel le lieu d’une révélation formée de mille révélations particulières auxquelles leur rassemblement donnait la chance d’avoir une signification générale.
Voilà l’aspect qui me touche le plus : la chance donnée à 1000 d’écrire UN texte chargé de mille fois plus de signification par le croisement des écritures et des sensibilités. Il est probable qu’elle aura réussi à créer de cette façon un tableau unique de notre "humanité" (je veux dire des traits qui composent notre humanité) à la fin de ce millénaire. Et qu’elle y aura réussi en se cantonnant au rôle ingrat d’organisatrice des "correspondances" - c’est-à-dire de créatrice de la dynamique des révélations.
Il aura fallu pour cela qu’elle développe en elle-même ce qui est son TU bien plus que son JE. En vérité qu’elle impose silence à son JE d’artiste pour se mettre au service de l’expression de l’Autre et en appeler le TU -en somme provoquer la métamorphose du TU en le priant de dire son JE.
Dans le travail d’Opalka, l’inscription de chaque nombre ajouté à son tableau -ou plutôt au détail qu’est chaque tableau par rapport à leur suite- est une porte d’entrée dans la vérité du temps. Mais je laisse cela pour un autre aspect de son oeuvre : le fait que par le choix d’une méthode et son application impertubable, Opalka ait aboli tout arbitraire esthétique. J’aperçois quelque chose du même genre dans l’établissement par Bernadette de son "territoire temporel" et dans le fait qu’elle s’y soit tenue sans faire disparaître les trous creusés par les absences de réponse. Cette obstination rend les manques significatifs. Et lie le tout, la signification du tout, bien mieux que si elle avait comblé les absences et, en somme, surchargé le sens.
L’arbitraire esthétique, qui me frappe de plus en plus, et qui jette un doute sur la plupart des oeuvres que je rencontre, voilà un problème dont nous faudra un jour débattre.
Bernard Noël

- Bernard Noël en débat Lodève Voix de la Méditerranées 2010