C’est un peu comme si, soudain, quelqu’un vous révélait enfin tout un pan perdu de votre vie... Quelque chose s’était bien produit, mais quoi, mais quand ? Et qui était alors venu vers vous ? Quelle main avez vous serrée qui vous a soudain tiré vers quelque chose que vous ne connaissiez pas et qui vous a, comme l’on dit, ouvert de nouveaux horizons ? Puis tout s’est enfoncé dans la nuit, et dans une sorte de faux oubli qui met mal à l’aise.
J’ai ainsi lu quelques textes de Jean Pierre Charles voici plus de trente ans. Dans la revue "Identités"
[1] dont des numéros, déjà vieillis, me parvenaient par d’étonnantes voies. Ses textes m’avaient heurtés, j’avais du reste pris l’un d’entre eux, "on cheval", comme exemple de ce que ne pouvait pas être la poésie. Et j’ai travaillé alors ce texte, et l’écriture de Jean Pierre Charles, à la recherche de ses insuffisances. Et voyez comment sont les choses. Quand j’ai eu fini de travailler là-dessus, je n’ai plus vu que des raisons de m’y intéresser."On cheval", et Jean Pierre Charles étaient devenus un repère particulier dans mes lectures poétiques. Il m’a fait relire -autrement- Le Clézio (celui des années 60 : le Procès Verbal, La fièvre), il m’a certainement conduit à Daniel Biga qui publiait aussi dans "Identités", et à Marcel Alocco qui dirigeait la revue.
Et voici que les éditions de l’Ormaie
[2] nous donnent tous les textes de Jean Pierre Charles des années 1958 à 1965. J’ai pu ainsi découvrir la totalité d’une démarche dont je ne connaissais qu’une partie. Tout le cheminement. Depuis les textes adolescents, dans leur naïveté sentimentale et leurs lourdes références jusqu’à ceux d’une maturité très tôt affirmée, jouant sur tous les registres de la poésie et de la mise en cause des poncifs de la poésie. J’ai vu ainsi, trente ans après, la poésie de Jean Pierre Charles devenir (être devenue), au fil du temps, une poésie de la désignation du monde et des objets du monde, une poésie de la mise en étrangeté du monde, une poésie de la mise en étrangeté de la désignation et de la langue. L’usage de l’expression "il y a" est bien symptomatique de la démarche poétique de Jean Pierre Charles. Les échos sont nettement ceux de Rimbaud (voyez dans le texte "Enfances" tiré des "llluminations", ce texte qui commence par "Au bois, il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir" et qui se poursuit par une désignation de ce qu’"il y a" cinq ou six fois répété), comme ils sont ceux de l’Apollinaire des poèmes de guerre. Ainsi le poème liminaire commence ainsi :
"il y en a dont les cheveux ondulent naturellement
d’autres qui sont nés poètes
bons ou mauvais qu’importe
et parfois ce sont les mêmes
avec trois allumettes ils vous piquent une étoile
avec trois bouts de laine ils vous filent un amour
ils vous filent des larmes et des mots de velours"
tandis que le premier poème, de la période adolescente, note :
"il y a une fougère verte
de la bruyère mauve dans l’air
qui tombent du grand ciel ouvert..."
et l’un des tout dernier remache encore cet "il y a", les souvenirs littéraires qu’il porte avec lui, et ce regard...
"il y a au commencement ou à la fin de ce poème
un goût hautain et lancinant de thym et de sueur
Il y a ma paresse qui commence tout et ne finit rien
toutes mes contrées le Mexique et le Coin de ma chambre
je n’en finis pas d’explorer
un passé qui n’en finit pas de croître
et d’enfanter des monstres
..."
Je n’ai pas fini de refaire du chemin dans ces textes. Un peu comme si je pouvais enfin serrer des années après cette main qui m’avait été tendue... Et Jean Pierre Charles, tranquillement poursuit :
"Il y a
Vous me direz c’est un peu longuet votre histoire
pour dure quoi quelle histoire quel nom
nous exigeons le nom sacré nom de nom
(...)
ILYA c’est une femme que j’aurais aimée naguère."
[1] Les éditions de l’Ormaie ont réédité la totalité de la collection de la revue "Identités"
[2] Jean Pierre Charles, "Poèmes qu’on jette au vent", avec des dessins de Ernest Pignon Ernest, ed de l’Ormaie, Vence.