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LIVRE 2 : RÉVERSIONS , XLIX


Très malheureux... Peut-il être très malheureux ? Ou même triste ? En tout cas, il n’est pas méchant…

7 - 14 - 21 - 28  Torre torino torone torotto

mia moglie è cascata da letto
Vous connaissez la fascination des comptines… Il m’a fallu bien des années pour que je l’admette, l’accepte et commence à en comprendre les raisons. L’évidence, c’est que les souvenirs d’enfance sont comme collés aux comptines et elles sont capables de traîner avec elles des pans entiers de temps. Elles doivent cette particularité avant tout à la façon dont elles enferment les images dans les rouleaux de leurs rythmes pour leur conserver une stupéfiante netteté ; elles rendent à la mémoire des chaleurs de chair dans des complicités béates, ces enfouissements étourdis que l’on va chercher dans des creux d’épaules pleins d’odeurs d’aisselles et de seins ; c’est par bouffées qu’elles ameutent la grande horde des souvenirs chargés de l’ombre poussiéreuse de ces platanes de cours d’écoles, de fumées d’encre et de craie, des sautillements de moineaux sur les marelles… tout cela nous le savons. Les comptines ont un rôle plus essentiel peut-être, et plus secret, inscrit dans la façon dont s’élaborent leurs rythmes et s’agencent leurs mots : en mêlant les espaces de la clarté et de l’obscurité, du sens et du non sens, de manière à permettre une compréhension toujours renouvelée dans un ensemble qui semble toujours, d’une certaine façon, s’évaporer dans le temps qui le permet, elles établissent une langue paradoxale hors la langue et le temps, et qui ne cherche de sens et de durée qu’en elle-même, parole incantatoire qui ne vise aucun récit. N’en reste alors que le sentiment d’un mystère banal venu déposer ses éclats sur les circonstances au cours desquels la comptine s’est déployée. Du fait de cette alliance entre mystère et clarté, la comptine installe aussi entre ceux qui la pratiquent cette profonde complicité de texte, de geste et de rite, de ceux qui parviennent à partager non seulement un savoir mais aussi des ignorances.  
Sette, quattordici, ventuno, ventotto
Mia moglie è cascata dal letto
E s’è fatto un bussolotto  

7 - 14 -21- 28  Torre torino torone torotto

Giro giro tondo

gira tutto il mondo
gira la luna
gira la terra
E Micchelino se ne va per terra

Ma se casca la terra, se casca, si se casca, che cosa mai succederà ?
Et si la terre tombe, si la terre tombe, oui, si elle tombe, qu’est-ce qui arrivera ?
 Et c’était bien l’une de mes inquiétudes, l’une des angoisses qui me mettait le plus “hors de moi”, l’idée que la terre puisse un jour tomber, ne plus être tenue ou retenue par dieu sait quelles forces incommensurables, impensables, et dans l’infini chuter sans fin. Mais c’était aussi une vertu de la comptine que de reporter la chute de la terre à la chute générale des corps : je devenais ce bout de monde à bout de bras balancé, vers le sol projeté et soudain toujours retenu. Et ce bout de monde était une terre possible et un univers sans cesse vers un sol chutant et indéfiniment retenu. En fin de compte ça n’avait plus rien d’effroyable… elle peut bien tomber la terre ; je n’avais bientôt plus même le pincement de la peur

qui me saisissait quand cessait la comptine

Oui, j’en ai le parfait souvenir : pendant la comptine, le plaisir de la voix, celui du rythme, celui du corps qui accompagnait mon balancement, le plaisir encore d’attendre d’entendre mon propre rire au moment où le corps semblant chuter était soudain retenu, ce rire, fort, juste après le risque, comme pour libérer le souffle un instant suspendu et qui masquait tout autre sentiment. 

Une autre face de la lune
Après notre journal de la demi-journée, voici une page d’information. Au micro, Patrick Perceval.
“L’exploration de la lune pose aujourd’hui infiniment moins de problèmes qu’il y a seulement dix ou cinq ans… Toutefois, la grande question pour le grand public continue à porter sur la nécessité de telles expériences.
Le coût et l’incompréhension des véritables raisons de cette recherche l’incitent à penser bien souvent que cette conquête est de l’ordre de la futilité -ou- et ce n’est guère plus encourageant- qu’elle ne se poursuit que dans des buts militaires.
Les hommes de science assurent cependant que nous pouvons, grâce à ces expéditions, non seulement résoudre l’énigme posée de la formation de la lune, mais aussi celle de la terre, sans doute même celle de l’univers entier, et, qui sait, peut-être aussi celle de l’homme.
Un récent sondage a toutefois indiqué que, sur cent personnes interrogées, etc.. ……………………………………………………………………………………………………………

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Ainsi prend fin notre page d’information
D’autres nouvelles à 19h40

  AOI
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