Régine Robin, Montréal, Shtetl-Paris vingtième, Pologne-en-Québec. Telle pourrait être l’adresse virtuelle ou symbolique d’un écrivain passé de la rue Botha à Montréal après transit par Fontenay (E.N.S) Aix-en-Provence pour maîtrise et, avec quelques indigènes itinérants, création de la revue niçoise « Identités » ; étape aussi par la Bourgogne pré-révolutionnaire pour doctorat. Spécialité, la bio-fiction : quelque chose qui ressemble à de l’Histoire et à de la rumination poétique, mêlées. Un mesclun. Peut-être ce que jadis j’ai, pour une longue rhapsodie, indûment désigné « roman » dans une collection intitulée « Contes et Poèmes » (Oswald 1969) et que plus récemment, par défaut de terme plus adéquat, j’ai pour mon cas appelé ‘’pastrouil’’ ? Bio-fiction serait la traduction en international d’un pastrouil d’historiens sérieux, entre intellectuels avertis et sensibles. Mais la raison n’y reconnaîtrait sans doute guère ses enfants déguisés. Le jeu est aussi d’être et de ne pas être l’un ou l’autre dans cette foule de personnages qui parlent ou sont parlés. ‘’Kaluszyners’’(habitants de Kaluszyn) ou Lénine (avec cheval blanc), Régine Ajzersztejn, Pamela Wilkinson ou Emilia Morgan, ou Nancy Nibor, ou encore Martha Himmelfarb, Régine Robin ou sa fille, narratrices ou narrateurs...Un labyrinthe des mémoires (on dit ‘’recherche d’identité’’) qui s’apparente à l’essayage de prêts à porter dans un grand magasin avec l’espoir de tomber sur son personnel fait-sur-mesure égaré. Autant dire que l’on se vit comme essayant être, le réussir n’étant pas d’arriver (où ?), mais d’être, itinérant, forcément itinérant. Harassant.
Passons sur les ouvrages dits plus solides du professeur, une dizaine d’essais ou travaux universitaires dont quelques uns ont compté, (tel « Histoire et linguistique », Armand Colin, 1973), mais somme toute moins sérieux, pour nous aujourd’hui, que les à-côtés de l’écrivain. Tout le programme est dans un premier livre inclassable, essai-récit-fiction paru en 1979 (Rééd. Berg International, 1995) :« Le cheval blanc de Lénine ou l’histoire autre » Si j’avais eu besoin de m’inventer des ancêtres, de jouer avec l’Histoire qui façonne les destins, si je ne pouvais accepter ma famille que distancée dans l’épopée tragi-comique ou alors dans le carnavalesque ? Allez savoir ce qui est vrai, allez démêler la part de mes fantasmes, allez y voir de près. Oui, mais plus loin : ...si conforme à la mémoire familiale tout cela était néanmoins totalement faux... . « L’immense fatigue des pierres » (XYZ éditeur, 1996) serait donc encore une étape dans une entreprise de construction plus que de reconstruction. Elle, la petite, c’est à l’école de la République qu’elle était heureuse avec nos ancêtres les Gaulois, la belle forme hexagonale de la France, Le Tour de France de deux enfants, et ses poètes s’appelaient Lamartine et Musset. Et puis et puis... L’errance choisie est faite de légèreté, mais de tristesse, de plaisir présent mais de la persistance de loin venue d’un goût amer.
Si le premier de ces livres se présente comme le récit du « déplacement » d’une communauté juive depuis Kaluszyn jusqu’à... partout ailleurs, essai chemin faisant sur ce roman familial bien particulier, le deuxième est constitué formellement d’une série de nouvelles qui gravitent autour d’un même destin ou qui se recoupent partiellement pour dire la solitude de l’individu dans sa paradoxale appartenance à une histoire « avec » : avec tous les autres, ceux de sa culture (de ses cultures ?), ceux de sa famille pour le moins. Finalement, Nous nous contenterons de peu. Méditer sur l’arbre généalogique, trouver le moyen de redonner une place à ces cinquante et une ombres qu’elle n’a pas connues. Entreprise énorme, si on mesure tout ce qui serait exigé pour y parvenir— et les conséquences. En quoi sommes nous concernés ? En ce que les vrais problèmes qui mettent en jeu l’individu sont au-delà du particulier : ceux des origines et des identités qui travaillent chaque culture.
La Strada n°9 novembre 1999