La littérature de terroir bâtirait de grandes piles de livres, pleine de nostalgie. Un mur de livres et si on n’y prend garde un mur de lamentations. Chacun aurait envie d’aller y glisser son billet, poème, nouvelle ou roman... Mais il faut une écriture pour se dégager du poids passéiste. Que La Baie des Anges ( Robert Laffont ) nous intéresse par la précision historique – faisons confiance à l’historien Max Gallo pour croire que la cellule anarchiste était bien rue Ségurane – que Avenue des Diables Bleus ou Chemin de la Lanterne (Louis Nucera, éditions Grasset) nous touchent de concordances de souvenirs, que par La douceur de la vie ( Jules Romain, Flammarion, 1927), l’évocation de la Vieille Ville ou des collines niçoises nous restitue une mémoire, que même Jorge Semprun (Adieu, vive clarté... Gallimard 1998) ne soit pas exempt de nostalgie quand il restitue autour du Lycée Henri IV les rues étrangères de son adolescence, quoi de plus normal ? Mais où défaille l’écriture meurt le charme. La complaisance au miroir prend l’ampleur que lui donne le créateur.
On peut dans ce but choisir des voies plus objectives. Et la tâche de l’éditeur local n’est pas seulement de cultiver le cocon, c’est surtout de lui permettre d’éclore et d’aller. Avec trois titres de Michel Steve,L’Architecture Belle Epoque (à Nice, à Menton) et La Riviera de Charles Garnier, et par Pierre Joannon La Riviera de Maupassant, la collectionGuides d’Azur des éditions Demaistrestructure des itinéraires thématiques qui permettent aux visiteurs de découvrir le patrimoine de la région : à ce jour, celui particulièrement riche et un peu méconnu il est vrai, depuis 1870, après le du rattachement du Comté à la France, jusqu’aux années 30. On savait la richesse de construction « Belle Epoque » à Nice au moment où se bâtissaient les quartiers jardins de Cimiez, du Mont-Boron et de la Californie. On découvre, grâce à Michel Steve, que Ch.Garnier architecte de l’Opéra de Paris est l’auteur du Casino de Monte-Carlo, de l’Observatoire de Nice, d’une école et d’une église à Bordighera. Qu’à Menton, gagnés par des traditions locales des architectes mentonnais comme Abel Gléna, Adrien Rey, Alfred Marsang ou venus de l’extérieur comme Georges Tersling, Ch. Garnier, Albert Tournaire ou Gustave Rives traduisent par des programmes très divers un fort particularisme. Mise à jour d’autant plus utile que l’architecture est probablement le domaine dans lequel la culture moyenne du français est la plus lacunaire quand elle n’est pas inexistante. Et moi-même... qui ne me suis guère intéressé qu’aux constructions postérieures à la guerre, je ne jetterai pas la première poutre dans l’œil des curieux.
On pourrait souhaiter en « illustration » avoir plus du texte de Maupassant... On peut rêver à des titres qui permettraient de visiter la Côte d’Azur avec les yeux de Jules Romain, de Jean Lorrain, mais aussi de Guillaume Apollinaire, Picasso, de Staël ou Fernand Léger... Patience. Et apprenons avec ces premiers titres à regarder : peut-être alors pourrons-nous mieux voir.
La Strada n°3, avril 1999