Un vendredi récent je regardais l’émission de Pivot consacrée à six « premiers romans ». Participait une jeune femme (25 ans), manifestement dépassée par le non-événement, qui avec une adorable candeur répondait confuse : « Je ne sais pas ». Un tout jeune homme avouait vingt-quatre ans : acné et lunette de khâgneux attardé, l’intellectuel comme on n’en présente plus qu’au cinéma, mais qui manifestement connaît la technique pour présenter un roman lisible. Un mécanicien qui a lu « La Princesse de Clèves », « Le Rouge et le Noir » et quelques plus récents écrits pour l’épice. Un autre était prof. Et – s’étonnait Pivot – pourquoi avoir attendu 36 ans pour donner un premier roman ? Lui maîtrisait son discours, et son sujet semblait-il. Et puis, ce que n’indiquait pas son nom d’auteur, il y avait une romancière lourdement présentée comme fille de son père, un romancier-critique influant, académicien qui plus est. Une qui, évidemment, emploie l’imparfait du subjonctif. Et que je te remets une couche de cirage : la jeune dame « est manifestement la plus douée des six ». Et merci encore pour les autres invités m’sieu Pivot ! Les deux derniers participants ? J’ai oublié. Ce qui ne signifie aucunement que leurs ouvrages n’ont aucun mérite, mais qu’eux ne sont pas, les malheureux, « médiatiques ».
Je me suis demandé, comme chaque fois que j’aborde au hasard un nouvel auteur : « mais enfin, pourquoi écrit-il, » Car racontant une histoire, on peut être un possible romancier. Mais en est-on pour autant écrivain ?
Pensez à Michel Eyquem de Montaigne. Personne n’attend sa copie ; magistrat, diplomate, Maire de Bordeaux et proche du Roi, il pourrait se dispenser d’écrire : ceux qui savant lire et pourront l’apprécier sont beaucoup moins nombreux qui déjà le connaissent et sont souvent ses obligés. Oui, mais voilà : écrire est façon d’éclairer mot à mot pour soi-même sa pensée, de la délabyrinther – ou de la labyrinther, complexe et cependant lumineuse, comme le fit Marcel Proust. Car que pourrais-je apporter d’autre en écrivant, si je ne m’apprenais rien à moi-même ? Que serait l’écriture si ce n’était un travail de solidification sur le volatile de la pensée et des rêves pour aller un peu plus loin, ou au moins un peu plus ferme ? J’aimerais qu’un écrivain ne soit pas « à la tâche » pondant régulièrement ses volumes, mais à son exploration. « Cette fricassée que je barbouille ici n’est qu’un registre des essais de ma vie » dit Monsieur de Montaigne. (Traduire « essais » par « expériences »). Ecrivains, nous aurions la modeste prétention d’écrire des « essais ». Mais le roman est surtout un jeu mondain et, vous avez raison, il nous faut du « divertissement ». Il est donc possible d’être un écriveur de roman comme… ( insérer ici le nom qui vous convient), sans être tel Montaigne ou Stendhal, un écrivain.
La Strada n°2, mars 1999.