(Dans le précédent numéro Marcel Alocco ironisait sur la mode d’une "nouvelle littérature" à chaque rentrée d’automne. Mais hors les grandes surfaces des "gros et gras éditeurs" du prêt-à-porter existent quelques artisans qui font trop discrètement, mais peuvent-ils faire autrement, dans le sur mesure. Chez nous, nous aurons l’occasion d’en parler, Tipaza, L’Ormaie, Demaistre, Z’éditions, Lo Païs, Les Cahiers de l’Egaré, Nues, Le Jardin Littéraire, Ricochet, et L’Amourier dont il est ici question... et d’autres qui nous donneront l’occasion d’en parler.)
La préface, à elle seule vaut le détour. Puis "bribes" non-cousues (je n’ai pas dit décousues) comme dans un journal intemporel. Le contraire d’Ulysse : repères plus que parcours (je n’ai pas dit vraiment évitement, mais…), car il n’a pu (Raphaël) en garder le temps, celui de la liaison qui fait que les secondes comme le riz gluant donnent masse indistincte et rend contemporain mes rêves de lecteur aux parades de la mort que le grand-père (ou l’auteur) a mises en scènes. "Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir" devient parole populaire. Dom Juan, le grand-père, Ulysse, (le lecteur ?), Raphaël M., Josué tour à tour l’ont un moment faite aussi leurs paroles sans doute (et dans le doute surtout). Raphaël Monticelli s’en va répétant (ou renouvelant, qui sait) la nouvelle – au goût de terre, d’eau en succion dans un trou de rocher, de boulevard de solitude. Vous accrochez à la réalité des guirlandes et les lampions du rêve (14 juillet ? ou Noël ? ou Maï dei niçarte ?) et, chez l’enfant inventif, qui sait ce qu’il en reste ?…
Une prise en compte et un développement de l’espace qui traduisent autant une réflexion sur les arts plastiques contemporains que des racines littéraires avouées. Heureuses tentatives, heureusement malheureuses, de nouer le tout en une pelote. Le fil tend, le fil casse. Les bribes flottent, comme des îles. Mais Ulysse fait chemin, y reconnaît des paysages, si familiers…
Ici le désordre n’est qu’apparence. Il est organisé comme celui du trou dans le sable à l’intérieur duquel le prédateur piège l’insecte. Le machine se met lentement en marche, mais, désolant, au moment où elle atteint son régime fascinant, nous voici au terme, déjà. Lecteur, j’éprouve cet écourtement comme une dommageable perte de sens. Le travail de l’illustrateur (Edmond Baudoin) n’est pas en cause : il n’est pas à sa place dans un espace restreint et une allure qui n’est plus ni la sienne, ni celle de l’auteur. Décalés. Serait-ce un complexe l’Amourier de se vouloir "mince" éditeur face aux grosses et grasses éditions ? Allons ! La Grande Muraille de Chine a-t-elle jamais empêché les fourmis de passer la frontière ? On peut donc déplorer que la seule "Bribes (Vol.1)" et des "intrusions" qui nuisent à l’économie du texte (un souffle particulier) aient été préférées à une plus stricte et complète publication. La transfusion à venir ne pourra que réparer, non restaurer à l’état initial. Je triche, bien entendu. J’ai lu, il y a des années, un des premiers tapuscrits de cet ouvrage (longuement médité) et en avait apprécié la mécanique (pas seulement). Il y aurait eu successivement une compression et une expansion, comme dans la respiration, quand s’établit sur un long itinéraire un rythme conforme au pas ; alors qu’aujourd’hui le lecteur voit se fermer la porte au moment où il parvient sur le seuil. Seul un petit quart nous en est livré, selon le principe que "Vous qui voulez entrer, ici abandonnez tout espoir" peut-être ? Alors je manifeste, avec pour slogan :
"Le texte, tout le texte, rien que le texte."
A lire. A méditer. Et à espérer la suite rapidement.
"Intrusions" par Raphaël Monticelli, Collection "Ex cœtera" 86 pages, 85 Fr.
L’Amourier éditions, Rte du Col de St Roch, 06390 Coaraze.
La Strada n°1 janvier 1999