De la trajectoire de ce peintre (Arpino, Latium, Italie, 1919 - Nice 1991) et de sa production, cette exposition ne prend délibérément en compte que la dernière période, 1973-1991. Ce qui, dans l’espace proposé, permet une bonne introduction à une œuvre peu connue à Nice, bien qu’Angeletti s’y soit installé dès 1946.
Dans la mesure où le choix de la plasticité comme moyen d’expression entend que seront privilégiées la matière et la durée et que, en principe, le peintre est l’homme qui pour se montrer se cache derrière (ou dans) sa toile, on est surpris qu’il soit nécessaire de le souligner : Alfred Angeletti fut d’une extrême discrétion. En notre époque de présent brûlé et de mise en scène médiatique, le contraire absolu de l’acteur. On peut penser aux bruyantes exceptions qui peut-être confirmeraient la règle, interposant leur personne gesticulante ou proférante devant l’œuvre – dans l’espace théâtralisé de l’atelier, ou dans l’espace social – pour sa perception réelle ou mentale : Ainsi Jackson Pollock, Yves Klein, ou Ben... Mais s’agit-il alors encore, principalement, d’art plastique ? Ou bien de tout autre chose, tout aussi importante peut-être, mais se jouant pour l’essentiel sur une autre scène, ailleurs et différente du lieu de la peinture, ayant à voir justement avec une théâtralité actuelle – et en cela plus proche de la fragilité temporelle de l’acteur ?
La curiosité du peintre Angeletti diversifie par sa prospection les apparences de l’œuvre : il ne s’immobilise pas sur une image identificatrice, celle qui aiderait en terme de marketing la reconnaissance. Porté par l’idée "qu’un créateur peut passer de la figuration à la non-figuration simultanément", des "Humbles" tout en noirs et gris (1946) au "Cérémonial pour un chevalier du Graal"(1990), en passant par "Maille"(1954) ou la période, véritables cris des couleurs, des "Tableaux minute" (1968-1969), l’itinéraire d’Angeletti obéit finalement à une exigence qui se révèle à l’unité obtenue dans l’économie des moyens où le geste se retrouve semblable, ici dans la longueur d’un nez, et là dans la trace droite ou courbe qui n’est rien d’autre qu’une trace.
Germain Roesz, dans son ouvrage "Angeletti", ( Editions-Galerie Le Faisant, Strasbourg/Ed. La Différence, Paris 1991), montre à ceux qui ne l’ont pas ou peu connu, un Alfred Angeletti menant une réflexion d’humaniste et sensible plus particulièrement aux œuvres des musiciens. Là son travail prend racine et se ressource. Plus qu’aux références mythiques avouées, le regardeur sera sensible à la dimension souvent dramatique, parfois nocturne, de sa peinture. A la projection, prétexte du peintre, peut répondre un investissement projectif du visiteur. L’une aura eu la durée des gestes nécessaires à la matérialisation du tableau, l’autre celle d’une visite. Il reste, ce qui nous importe, une mémoire en peinture.
Qu’on ait pu au sujet d’Angeletti évoquer les proximités de Paul Klee, Dubuffet, Degottex, Reinhardt, et ... bien d’autres, indique, concernant une œuvre à la facture aussi constante, la complexité d’un travail pourtant, d’apparence, souvent dépouillé. Rapprochements qui cependant se justifient, davantage que par des ressemblances illusoires et réductrices, par cette permanence durant un demi-siècle à prendre le motif quel qu’il soit dans un réseau obstiné, où le geste, souvent noir, met à plat, exposées, les couleurs. Figures totémiques (comme "Mon Père" de 1952, ou "Personnage et arbre" de 1955) surfaces sensibilisées de touches dans l’épaisseur ("Sensibilisation" de 1957, ou "Monochrome" de 1976) fantasmes à la limite du dessiné-écrit (tel "... Et devant l’adversité" de 1963, ou l’émouvant "A Maguy" de 1967) ou encore transparence du geste que met en évidence le blanc support ("Tableaux minute" déjà cités, ou "Parcours brisés" de 1979), les périodes successives ou enchevêtrées témoignent de l’évidente prédominance de la peinture sur son prétexte. Il s’agit d’un travail original, qui possède assez de présence personnelle pour ne rien gagner à être rattaché à un mouvement quelconque, où il ne serait perçu au mieux que comme un marginal tardif. Et c’est davantage par l’errance du Dom Quichotte dédié au combat contre le tourbillon des toiles d’un moulin tout intérieur qu’armé des seuls pinceaux et couleurs il affronte, que par des similitudes lointaines ou ambiguës avec Support-Surface naguère par certains évoquées, que l’œuvre d’Angeletti s’inscrit dans l’aventure de notre époque.