Il y a longtemps, déjà, je t’ai promis de te raconter l’histoire de Saint Raphaël Archange. Alors, la voici.
Tu te souviens que les écritures nomment quatre archanges : Ouriel est le plus secret et seul le Midrash le cite, Michel le plus combatif, Gabriel le plus tendre et peut-être le plus élevé, quant à Raphaël, le plus controversé, c’est le livre de Tobit qui nous en parle, d’une manière telle que l’on ne saurait nommer Saint Raphaël Archange sans raconter de l’aventure du vieux Tobit qui recouvra la vue au terme du long voyage de son fils Tobie que l’archange, sans se faire reconnaître, avait accepté d’accompagner.
Comme bien d’autres descendants de Moïse, Tobit vivait exilé à Babylone, dans ce pays que l’on nomme aujourd’hui Iraq ou Irak, et qui était alors la florissante Perse, bien avant la venue au monde de NSJC. Il y vivait dans la dignité respectant les lois édictées par ses princes tout en demeurant fidèle à la Loi de Dieu et aux règles qu’elle impose. La cécité lui avait été imposée par deux forces : la première devait tout à la nature et au vouloir de Dieu, la deuxième était le fruit de l’incompétence des hommes.
Alors qu’il venait, comme à son habitude, de rendre les derniers devoirs que l’on doit aux disparus, Tobit s’était réfugié au pied d’un muret pour y prendre un peu de repos sans se douter qu’une multitude de moineaux nichait dans ses anfractuosités. Au moment où la nuit et le jour se partagent, les moineaux, par nuées, avaient quitté leurs nids dans un grand vacarme de piaillements et de froissements d’ailes, et tout en répandant sur leur passage leurs minuscules fientes. Certaines tombèrent sur les paupières de Tobit, s’infiltrant jusque dans sa cornée que leur acidité brûla provoquant ces taches blanches que l’on nomme "leucomes". C’est ainsi que le regard de Tobit acquit cette teinte que l’on trouve aux toiles que les peintres apprêtent avant d’y déposer de la couleur.
Pour son malheur Tobit alla consulter force médecins. Chacun y alla de sa drogue, de son onguent ou de son intervention, de sorte que le monde blanc dans lequel vivait Tobit depuis qu’il s’était endormi parmi les oiseaux, vira bientôt au noir, plus dense qu’une nuit sans lune et sans étoile.
Pensant qu’il ne lui restait plus qu’à attendre la mort, Tobit décida de régler ses affaires, et il chargea son fils Tobias d’aller récupérer une fortune qu’il avait, par contrat, prêtée des années aupraravant à l’un de ses parents, Gabaël, dont on ne sait s’il était fils ou frère de Gabri. Ce qui est sûr, c’est que le contrat avait été passé en Médie, du temps où Tobit y était allé, et qu’il n’avait jamais pu retourner. Le chemin étant long et les routes peu sûres, Tobit conseilla à Tobias de se trouver, parmi les enfants d’Israël, un compagnon de voyage qui pût le seconder et le défendre. C’est ainsi que Tobias trouva l’Archange qui se présenta à lui comme Azarias, fils d’Ananias. Petit, rablé, l’oeil sombre et vif, le cheveu noir, dru et frisé ; musculeux, il avait l’air à la fois tranquille et décidé et semblait fort et dur à la tâche, comme on le voit des paysans de nos montagnes, des maçons de nos villes ou pêcheurs de nos côtes. Ne t’étonne pas si tu ne reconnais pas dans le portrait que je t’en fais le visage d’un ange : d’abord parce que Raphaël avait décidé d’apparaître à Tobias sous les traits d’un homme du commun, ensuite parce que les anges ne nous apparaissent jamais comme tels que dans l’aveuglant éblouissement de la transfiguration, de sorte que les images que nous percevons alors d’eux ne nous viennent pas du dehors de nous, mais remontent, troubles et tremblantes, des profonds territoires que nous portons en nous.
En chemin, Tobias, sur les conseil d’Azarias, recueillit le fiel, le coeur et le foie d’un poisson qu’il avait pêché dans le fleuve Angys qui dessine le chemin le plus aisé de Babylone Ecbatane par laquelle on se rend ensuite à Raguès de Médie, où se trouve aujourd’hui la belle ville de Téhéran. Le voyage de Tobias aurait pu ne durer que quelques jours, s’l n’avait rencontré Sara sur sa route, à Ecbatane, et si Azarias ne l’avait convaincu de la prendre pour épouse. Bien que Sara eût cette beauté que donnent l’ardeur et la jeunesse, elle emplissait Tobias d’hésitation et de crainte. Elle avait en effet déjà été mariée sept fois et chacun de ses maris était mort dans la chambre nuptiale, de sorte que si on ne pouvait douter qu’elle fût intacte et pure, sa pureté même alimentait toutes sortes de rumeurs dans Ecbatane et jetait les hommes qui la voyaient dans le trouble et la crainte.
Ce qu’ Azarias dit à Tobias pour le convaincre est rapporté dans les saintes écritures. Tu retiendras qu’il se persuada que les sept deuils qu’avait connu Sara étaient autant de marques qu’elle lui était destinée, qu’Azarias lui apprit à muer la violence du désir en douceur partagée,
Voilà un bien grand mystère : pendant tout le temps que dura son voyage, Tobie eut le temps de souffrir et de se réjouir, il connut des pays et des gens nouveaux, se fit des amis et prit femme avant de revenir auprès de Tobit, son père, chargé de présents et d’onguents. Il partagea des jours durant ses instants et ses efforts avec l’archange sans avoir jamais reconnu sa condition surnaturelle, sans même avoir jamais su son véritable nom. Je te dirai que quand Tobie aurait su le nom de son compagnon, il n’en aurait pas pour autant inférer du nom à l’identité de l’archange. Il fallut, pour qu’il la connaisse enfin que Tobit recouvrât la vue et que disparaisse l’archange.