MICHEL BUTOR
Ecrire est un geste. Avec l’écriture ancienne, que ce fut au calame, au pinceau, à la plume, chacun l’admet ; et ce geste devient danse avec toute calligraphie mais surtout quand celle-ci atteint de grandes dimensions. Mais c’est encore un geste et une da nse sur le clavier d’une machine à écrire ou d’un ordinateur.
Mettre dans la page est un geste. La page est une scène où les mots virevoltent, s’appellent, se répondent, se répètent, se reprennent, se repoussent ou s’équilibrent.
Placer dans un volume est un geste. Les phrases se coulent de page en page ; les paragraphes s’espacent ou se précipitent. Et voici les titres et les blancs, sans même parler des frontispices, culs-de-lampe ou lettrines.
Mettre dans une histoire est un geste. Les personnages se déplacent. Le récit s’attarde souvent délicieusement sur la description de tel site, puis brusquement les années passent. On fait le tour de la Terre, par exemple, avant de revenir voir Julie sur les rives du Léman. Marches autour d’une chambre ou d’un immeuble, courses éperdues, chevauchées, navigations, puis tous les moyens de locomotion moderne : les trains, les voitures, les avions.
Penser est un geste. On feuillette un volume. On passe à un autre. Une image sert de signal qui fait partir à la recherche d’une référence antique, américaine, scientifique... Après tant de révolutions, pérégrinations, explorations, enquêtes on se retrouve sur les rives de son théâtre ou de sa page, et l’on fait le geste scriptural avec ses doigts et tout son corps ou tous ses corps.