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RAPHAËL MONTICELLI

Guetteur de ce qui nous doue de lointain
© Raphaël Monticelli, Alain Freixe
Publication en ligne : 10 novembre 2007
Artiste(s) : Alocco (site)

PREAMBULE –
UT PICTURA POESIS ?

Alain Freixe
De Marcel Alocco, je connais principalement l’oeuvre littéraire, et je rentrerai dans cette œuvre d’abord par la « Promenade niçoise », cette sorte de « mescle », de mélange, et par le « Laërte » à propos duquel j’ai fait un entretien avec Marcel qui me servira de repère dans l’entretien d’aujourd’hui au cours duquel je vais essayer de tirer quelques fils que tu fileras et tisseras.
Premier fil, première question : peut-on séparer, chez Alocco, le littéraire et le plastique ? Le plasticien a-t-il vraiment pris sa retraite, comme il le disait dans l’entretien qu’il avait eu avec toi , craignant de refaire du Marcel Alocco, et de se répéter ? Avait-il l’intention de valoriser une oeuvre littéraire ancienne qu’il avait un peu abandonnée ? Il vient de la littérature et il y revient, il semble qu’on ne puisse la séparer de la peinture.

Raphaël Monticelli
Ecrire et peindre ne sont en effet pas séparables dans la démarche de Marcel Alocco, et les relations qui s’instituent entre ces deux pratiques, quand on considère l’ensemble de son travail, sont originales en ce sens que l’écrivain se pose régulièrement des problèmes plastiques, tandis que le peintre se tient, depuis le début, sur une position qui n’est pas purement plastique. Alocco-peintre ne traite pas des seuls problèmes de la peinture, mais de ceux de la littérature, de la linguistique, de l’archéologie ou de l’anthropologie…
Alocco vient de la littérature, comme tu l’as souligné. Dès les années soixante, l’écrivain qu’il est d’abord se pose des problèmes qui ne relèvent pas de l’écriture seule : la disposition, la mise en scène du texte, par exemple, ont pour lui une importance capitale. Le premier récit qu’il publie « Au présent dans le texte » est imprimé dans le sens de la plus grande largeur, à l’italienne, la reliure étant cependant conservée parallèle à l’écriture. Il gardait ainsi la longueur des lignes, qui produisait l’impression visuelle qu’il souhaitait, tout en mettant son lecteur dans une relation physique inhabituelle par rapport à l’objet qu’est le livre. Deux préoccupations qui ont peu à voir avec les problématiques du récit et qui relèvent plutôt soit de la poésie, soit des arts plastiques. De la même façon, à partir de la fin des années soixante, il fait jouer un rôle expressif aux signes de ponctuation qui lui servent moins à moduler le paragraphe et la phrase et à organiser le souffle, qu’à composer –visuellement- la page.
Pour ce qui concerne la peinture, deux choses sont à préciser. La première, c’est qu’Alocco a reçu de l’école d’art la formation classique qui y était dispensée dans les années cinquante. La deuxième, c’est qu’entre l’expérience de la littérature et celle de la peinture, Alocco rencontre le mouvement Fluxus. C’est sans doute grâce à Fluxus et à la mise en cause foncière de la distinction entre les arts et les genres que Fluxus pratiquait, qu’Alocco a pu définir le territoire paradoxal qui est devenu le sien.
Entre la littérature et la peinture, Alocco rencontre un deuxième mouvement, dans les années soixante : c’est le Nouveau Réalisme et la façon très particulière dont ce mouvement traite l’objet. On voit bien ce que sa démarche doit à la rencontre entre les problèmes traditionnels du récit et ceux, tout nouveaux, que pose l’objet dans les arts plastiques dans sa série des « bandes-objets » ; la poésie et le Nouveau Réalisme quand on considère sa série du « tiroir aux vieilleries ». Nous reviendrons plus tard sur cette série.
Lorsqu’il aborde la toile, à la fin des années soixante, Alocco le fait par deux approches très différentes. D’abord il prend la toile comme un peintre traversé par ces problématiques « analytiques et critiques » que l’on résume aujourd’hui sous le nom de « support-surface » : la toile est « objet », elle est « constituant », elle est en elle-même « problème »… Ensuite, les problématiques qu’il va traiter avec les supports et les outils de la peinture ne sont pas purement plastiques : dès 1967, avec sa série de « l’idéogrammaire », il fait se heurter, sur la toile, des concepts qu’il emprunte, par exemple, à la linguistique avec la matérialité de la peinture. Les problèmes pourraient alors se poser de la façon suivante : « à partir de quel moment une trace plastique minimale peut-elle assumer un statut de signe linguistique ? » ou encore « que devient un signifiant si on le répète sur une toile ? Á l’identique ? En le faisant varier, par les modes d’inscription, par la dose de peinture ? »…
Pour résumer cette posture en une formule, Alocco écrit bien souvent en peintre et peint en écrivain. Je suppose que ça va dans le sens de cette « mescle » qui te retient dans son écriture. C’est une pratique du mélange et du paradoxe que celle d’Alocco… J’entends paradoxe dans son sens étymologique de ce qui ne suit pas la voie commune.

FAIRE ŒUVRE
UNE DEMARCHE EN CRABE

Prendre du recul / Théoriser

Alain Freixe
Il est vrai qu’Alocco s’est toujours placé un peu à côté des mouvements qui ont traversé Nice, un pied dedans, un pied dehors, une sorte de farouche liberté. Avec un humour tendu, souvent : c’est un homme de la distance.

Raphaël Monticelli
Ainsi trois termes permettent de suivre les fils de l’œuvre d’Alocco : les pratiques de la mise à distance, la prise en compte du mélange, les postures du paradoxe.
Je verrais plusieurs modalités de la prise de distance, ou du recul, chez Alocco, selon les époques et selon les domaines dans lesquels il intervient. D’une façon générale, je dirais que, chez Alocco, tout se passe comme s’il cherchait à mettre à place les modalités d’intervention plastique, littéraire, critique, voire politique, qui lui permettent le plus grand effet, avec le moindre engagement personnel apparent. Une forme d’approche faite de retrait affiché et de volonté d’intervenir, une pratique du détour ou du biais que nous avions défini comme une « démarche en crabe ».
Avant de réfléchir aux formes plastiques de la prise de distance et aux paradoxes qu’elles engendrent, je voudrais que nous rappelions que Marcel Alocco vient à la littérature et à l’art fin cinquante début soixante, à Nice, dans une époque et un milieu tenus par une sorte de théoricisme ; nous sommes à l’époque où se met en place la grande trilogie Lacan...

Alain Freixe
Althusser et Barthes

Raphaël Monticelli
Et Barthes

Alain Freixe
Et Foucault et sa mise en question de la représentation n’est pas loin

Raphaël Monticelli
Foucault pas loin. C’est une époque où l’on intellectualise et où l’on cherche à comprendre la relation que les individus peuvent avoir à l’art, ou l’on vise à mettre en place une « théorie d’ensemble »…

Alain Freixe
C’était aux éditions du seuil dans la collection « Tel quel ». C’était en 1968. Sous ce titre étaient regroupés par Philippe Sollers et ses proches un certain nombre de textes théoriques fondamentaux produits par et autour de la revue Tel quel…

Raphaël Monticelli
Sans entrer dans les détails. Alocco est plongé là-dedans, il est traversé par ces débats, et y participe, il est marqué par les exigences théoricistes de l’époque, et beaucoup d’aspects de sa pratique, tout le long de sa vie, renvoient à cette posture particulière de celui qui prend ce recul que permet ou nécessite la « théorie », celui qui prend la distance réflexive nécessaire au regard d’ensemble. C’est un premier aspect des choses.

Alain Freixe
Et en même temps il y a cette distance qui vient de la méfiance pour les explications et les approches psychologiques ou biographiques : se méfier de sa propre vie, la tenir en laisse...et peut-être moins à distance que dans la distance.

Mettre l’art à distance

Raphaël Monticelli
C’est ce même recul qu’il rencontre dans le mouvement Fluxus : si ce que propose alors Alocco n’est alors pas toujours significatif des « events »-Fluxus, son attitude relève bien de ce mouvement, avec des modalités plus littéraires que celles d’un George Brecht, d’un Filliou ou d’un Ben. Il s’engage dans le mouvement Fluxus en raison de la critique qu’il permet et de l’humour qui le traverse.
Evidemment ce sont là des pratiques qui mettent à mal la psychologie, l’épanchement et le pathos. L’intérêt de ce qui se met alors en place dans le travail d’Alocco, c’est bien cette distance qui s’ancre dans une exigence théorique, se donne forme dans l’art d’attitude de Fluxus, et se développe dans son goût pour la réflexion sur les faits de l’art.
Alocco vient de la littérature, il est de formation universitaire ; dans le tout début des années 60, il lance et anime « Identités » une revue où il publie à la fois des textes littéraires, et des approches critiques de la littérature et de l’art. C’est notamment sous sa plume que l’on pouvait lire aussi bien une analyse de l’oeuvre de Dadelsen ou de Claude Simon, que de l’école de Nice...
C’est cette même attitude qui se retrouve dans son travail plastique. Lorsqu’il va développer ses procédures plastiques, Alocco va chercher à installer la plus grande distance entre le peintre et ce qu’il va peindre : il va multiplier comme à plaisir les intermédiaires entre lui et la toile, entre la main qui peint et l’oeuvre achevée.
Pour explorer et apprécier cette distance dans le travail plastique d’Alocco, il faut bien se rendre sensible à ce qu’est la situation habituelle, traditionnelle, du peintre, et à la charge historique, symbolique et affective des outils, matières et procédures de la peinture. Il faut aussi la percevoir dans son contexte, parmi l’ensemble des démarches qui se développent en mettant à distance la tradition picturale.
Déplacer un pinceau ou un crayon sur une toile ou un papier, voilà ce qui est traditionnellement perçu comme la moins grande distance possible entre l’artiste et l’œuvre. Un pinceau, ça n’est pas n’importe quel ustensile. Dans son nom même, c’est un petit sexe ; il devient très aisément un objet fantasmatique, dans sa forme, ses constituants, son emploi, ses effets… La toile non plus n’est pas un objet neutre. Elle n’est pas simple support matériel à des traces. Elle se tient tout à la fois au plus près de notre corps –par sa proximité avec le drap et le vêtement, comme par son statut de peau métaphorique- et, selon ses dimensions, au plus près de nos habitats –historiquement, la toile du peintre, c’est un mur facile à transporter- ou de nos espaces d’intimité…
Alocco fait partie de ces peintres qui installent entre la main, le pinceau, la toile, la peinture, toutes sortes d’intermédiaires. Il travaille par exemple à la bombe, au pochoir, ou à l’empreinte. Mettant la couleur d’abord sur une forme en carton avant de reporter la forme sur la toile. Il récupère parfois des tissus et les intègre tels quels. Il met ainsi en place des procédures plastiques qui installent de la distance dans la relation traditionnelle entre le peintre et l’œuvre.
Il participe de cette façon au mouvement qui traverse tout le Xxème siècle et qui met en cause la posture traditionnelle du peintre. Il rencontre des pratiques plastiques comme celle d’un Klein lorsque celui-ci, par exemple, met en place la série des anthropométries ou de Pollock qui fait entrer le dripping dans les modalités de la peinture, d’un Duchamp qui fait entrer au musée l’art « déjà fait » par l’industrie, ou d’un Sol Le Witt qui se borne à communiquer à ses collectionneurs le mode de réalisation de l’œuvre –purement conceptuelle- qu’ils ont acquise.

Alocco participe ainsi d’une approche de l’art qui a des racines profondes dans les cent dernières années et qui construit un statut nouveau de l’artiste : non pas le créateur impliqué qui tire quelque chose de rien ; mais l’organisateur ou le ré-organisateur des données du réel.
Dès le moment où il peint, où, d’une manière ou d’une autre, il laisse des traces sur une toile, Alocco se met donc dans la distance. Mais il n’en reste pas là : la toile une fois peinte, il revient sur elle pour la déchirer, comme il y reviendra aussi pour l’effiler... Mais il ne laisse pas non plus en l’état la toile déchirée : il va la re-composer et la recoudre, c’est ce qui va donner le Patchwork… Il y a donc bien toute une panoplie et toute une série de procédures qui mettent sans cesse plus à distance l’objet artistique en cours d’élaboration.

Réunir ce qui est épars

Alain Freixe
Alocco est sans doute bien cet artiste de la distance que tu décris. Mais cette présentation n’est-elle pas quelque peu mise à mal, en tout cas bousculée par d’autres pratiques caractéristiques de Marcel Alocco. Je pense à la couture et au réinvestissement qu’elle suppose du côté de l’artiste, côté corps et cœur, ou à ce tissage/tressage de cheveux qui t’avait toi même tant troublé parce que, sans doute, pour le coup, il n’y avait pas assez de distance entre le peintre et son sujet…

Raphaël Monticelli
Prenons les choses dans l’ordre. Et d’abord la couture. La couture c’est ce procédé qui va permettre à Alocco de mettre ensemble –différemment- ce catalogue de formes éloignées les unes des autres, ces images, piquées à tous les contextes et à toutes les cultures. Il faut cependant noter au passage que ce qui est recousu ensemble, après la déchirure, ce ne sont pas les images, mais les tissus portant des fragments d’images plus ou moins identifiables.
Ensuite il nous faut bien peser tout l’intérêt de ce travail sur la diversité des images. L’œuvre d’Alocco ressortit en effet d’une esthétique dans laquelle on confronte des éléments qui n’auraient pas dû être confrontés. Cette esthétique dépasse Alocco, comme elle dépasse nos générations. Elle traverse au moins tout le vingtième siècle.
Dans le travail d’Alocco, elle est à l’œuvre dès les premières séries plastiques. Dans « le tiroir aux vieilleries », en 1966/67, Alocco récupère des fonds de tiroir, ou supposés tels, et met ensemble ces objets divers dans de petites boites à couvercle de celluloïd transparent. On pense immédiatement à l’Apollinaire de la juxtaposition des images, qu’on trouve dans « zone » ou dans « Il y a », avec un traitement plastique qui fait bien référence aux « Calligrammes ». On pense aussi à Lautréamont, ça va de soi…
Les « vieilleries » de ces tiroirs-là étaient des vieilleries personnelles : Tickets de bus, porte clef, cachet d’aspirine, capsule…
Avant d’en arriver au Patchwork, on a besoin de ce même type de mélange, et doublement. Au moment où Alocco met en place son « alphabet », son « idéogrammaire »…

Alain Freixe
Tu veux dire, le fait que revienne le cheval de Lascaux..

Raphaël Monticelli
et le sigle PTT, et une lettre, et un chiffre, et une femme Peuhl etc… Mais avant d’utiliser ces images connues de tous, en 1967-68, juste après le « tiroir aux vieilleries », les « signes » les « idéogrammes » qu’il employait, lui étaient « personnels », ils étaient constitués de signes élaborés par lui, faisaient partie d’une « idéogrammaire », et se présentaient ou se combinaient sur la toile selon des modalités qui mêlaient au moins plasticité et linguistique. Il faut attendre 1972-73 pour voir apparaître comme « signes », ces références culturelles que nous venons de lister.

Alain Freixe
Le mélange, pour le coup, va contre la distance

Raphaël Monticelli
Puisque ce qui est réuni, c’est ce qui est distant.

Construire un lieu des convergences

Alain Freixe
C’est manifeste. Alocco se pose comme « mescla », ce lieu où ça converge, où les rivières arrivent, se rejoignent et mêlent leurs eaux. J’ai dû lui dire un jour qu’ « être du parti d’Homère », comme il le proclame à plusieurs reprises, c’est être du parti de ceux qui tricotent les mailles de leurs filets afin de retenir, comme il l’écrit dans son Laërte , ce qui s’agite dans le continu des eaux ». Alocco cherche à s’établir dans le lieu de convergence parce que c’est là qu’on peut tenter de retenir quelque chose. Il y a à la fois cette volonté d’expansion et de retenir… Pour moi, c’est ça la couture. D’où cette idée : il faut que je tisse, que je trame, ces cheveux, toutes ces choses, il faut que je tienne, il faut que ça tienne. Comment dans le mesclun, il faut qu’elle tienne cette salade.Qu’elle soit présentable.

Raphaël Monticelli
Ou encore, il s’agit de constituer un lieu de convergence. Le mélange, c’est bien ce qui donne tout à la fois, la distance et l’impossible rassemblement.

Alain Freixe
Et si dans ce lieu des confluences, tout ensuite s’écoule, demeurent au moins comme pris à même leurs écumes les remous.

Raphaël Monticelli
Cela dit, je reviens à la couture…

Alain Freixe
Comme s’il fallait construire, bâtir : si je prends une toile et si je la déchire –tu as écrit sur l’acte de déchirure des choses très précises : il ne déchire pas n’importe comment...

Raphaël Monticelli
oui, déchirer, c’est forcément dans le droit fil ; il ne découpe pas avec des ciseaux…

Alain Freixe
et ça produit des effilochures, ensuite il va rabouter tout ça, le recoudre, en fonction de choix, et surgit là l’idée de la composition, de la construction : il s’agit de bâtir un tissu –on n’est pas loin du texte : étymologie facile et connue- Il y a bien cette idée-là : ne pas s’en laisser compter par l’immédiat. Recomposer, retravailler, voilà qui conduit aussi à l’idée de maîtrise : savoir ce qu’on fait au moment où on le fait... tu te souviens de ces vers de Rimbaud, dans "Ce qu’on dit au poëte à propos de fleurs" : « O blanc chasseur, (…)/ (…)/ Ne peux-tu pas, ne dois-tu pas / connaître un peu ta botanique ? » . Et bien, quand, ayant déchiré Alocco recoud, il se donne les moyens d’être au plus près de savoir ce qu’il est en train de faire. Au plus près de sa pratique.
Même s’il a amplement parlé de ces « débordements de la peinture », il se donne toujours le moyen de ne pas se laisser déborder par sa propre pratique : c’est ainsi que je lis ce retour constant au matériau, ce travail qui se tient au plus loin de l’immédiat et des effets de l’immédiat. puisqu’il y a besoin de re-travailler, de re-prendre, de re-constituer.

Raphaël Monticelli
La couture est donc doublement cette antithèse de la distance dont nous parlions : d’une part elle est là pour faire en sorte que fassent un tout des éléments qui sont d’abord perçus comme disparates ; d’autre part, tu le notais, elle permet le réinvestissement de l’artiste dans l’œuvre, et son réinvestissement en temps passé, et en contact physique direct avec la toile.

Séparer, réunir, déchirer, coudre : composer

Je reviendrai tout à l’heure pour nuancer ce point de vue. Auparavant, il y a une autre idée à développer concernant la déchirure et le patchwork ; ça concerne la composition.
La première étape du travail d’Alocco consiste bien à mettre ensemble des images disparates. Selon quelles règles ? Savoir quelles images est important ; savoir comment on va les disposer sur la toile l’est encore plus… On voit bien à quels problèmes un peintre peut se heurter : mettre ensemble des images disparates en suivant des règles de composition et ou de lecture ça aboutit très vite à de la narration, à du jeu, à de la surprise gratuite ou à de l’ornementation. Alocco se coltine là avec des problèmes que bien d’autres, dans les arts plastiques comme dans la littérature ou la musique, ont eu à traiter. Ça concerne par exemple le statut de la référence et de la citation dans l’oeuvre ; je pense aussi au rôle que la BD joue depuis quelques décennies dans les arts plastiques, et qu’il suffise de se référer à la figuration narrative ou au pop art, ou encore à la figuration libre… Je pense encore, par exemple, au statut des signes et traces non culturelles dans l’œuvre : qu’il s’agisse, pour un poète, de la phrase banale entendue dans un café ou de la musique et du rythme de la machine à écrire pour un musicien…
Alocco s’est donc très vite trouvé confronté à cette question : comment mettre ensemble sur un même support des images si éloignées les unes des autres, et faire que ça tienne… Au passage, je note que le couple distance / rapprochement est déjà constitué avant même que ne se mette en place de procédé de la couture.
A vrai dire, quiconque sort d’une école d’art et a un peu formé son œil sait composer. Les règles de la composition traînent dans tous les manuels. Mais, dans le cas d’Alocco, de la même façon qu’il ne « peint » pas un tableau, nous l’avons vu, il n’entend pas non plus le « composer ». Ce qu’il cherche c’est le motif, la raison, le principe qui va lui permettre de réunir les images éparses. Tout le travail du Patchwork, ça aura été ça : le tableau que l’artiste aurait pu composer et dans lequel il ne savait pas justifier en vertu de quelle nécessité il aurait mis tel élément ici et tel élément là, s’il le déchire et s’il le reconstruit aléatoirement, il ne se pose plus le problème de la composition plastique des images sur une toile. Il invente un principe de reconstruction organique de la toile elle-même, porteuse de traces et de signes qui vont jouer entre eux aléatoirement. En quoi il s’inscrit dans une tradition proche des surréalistes en même temps qu’il installe la distance la plus grande entre l’artiste qui œuvre et le résultat qu’il obtient.. Il ne fait guère de doute que c’est ainsi une façon de trouver une plus profonde modalité d’inscription.

Alain Freixe
Mais est-ce vraiment le hasard qui bat les cartes ? Il y a bien un moment où la main prend le tissu ; ce carré ou ce rectangle va être positionné, là, comme on vient d’en décider...

Raphaël Monticelli
une chose est sûre : le positionnement des morceaux de tissu ne résulte pas de l’application d’une technique connue ou d’un mode connu de composition. Autre chose sûre : la composition ne résulte pas d’une volonté de séduction a priori, et elle n’obéit pas d’abord à l’affect.

Alain Freixe
Peut-être faudrait-il insister davantage sur la façon dont la couture abolit la distance entre l’artiste et l’œuvre. Parce qu’enfin, Alocco ne fait coudre ses Patchwork par personne d’autre. Et il se fait photographier en train de coudre. C’est une responsabilité cette couture…. Et on devrait pouvoir étudier l’investissement physique et intellectuel qu’elle représente… Il y a le fait de tenir l’aiguille, de s’assimiler à je ne sais quelle parque. Il y est pour le coup…

De fil en aiguille au plus proche de l’œuvre

Raphaël Monticelli
Mais naturellement…. Il y a réinvestissement dans la couture. Tu conviendras avec moi que ça n’est pas la plus typique des activités plastiques…. Il y a réinvestissement –physique et symbolique, psychique et temporel- dans la couture, parce qu’il y a eu d’abord distance prise par rapport aux engagements physiques traditionnels du peintre. Alocco récupère, réinvestit une technique artisanale pauvre –de la pauvreté- et lui donne un sens nouveau. Il nous fait, tous, les arlequins de sa scénographie. Pourtant tu as bien noté que, dès l’origine, il prend la technique de la couture dans le patchwork à l’envers : il la montre du reste à l’envers et fait apparaître la bosse de la boursouflure et le fil que le patchwork masque, que tout couturier –toute couturière, le travail d’aiguille, notamment dans le patchwork, étant plutôt connoté féminin- que tout couturier cherche d’abord à masquer.

Alain Freixe
N’est-ce pas d’ailleurs quand la couture s’efface, que ses lèvres se font oublier, qu’on dit de la pièce qu’elle est belle ?

Raphaël Monticelli
Et Alocco cherche tout sauf à l’effacer. En même temps, il a réduit l’investissement de l’artiste à ce geste minimum, répétitif…

Alain Freixe
Zen…

Raphaël Monticelli
Et il est vrai, cela dit, que c’est la couture qui met à mal ma théorie de la distance.

Alain Freixe
Il assure cette couture là. Après tout, on aurait pu imaginer qu’il donne à faire ce travail là. Or, il faut qu’il y soit…

Raphaël Monticelli
Lorsqu’il récupérait les fils par tricot, il donnait à tricoter… Il a rapidement arrêté ce travail-là.

Alain Freixe
Autre chose me frappe dans la couture, ce sont les nervures qu’elle produit. le nerf du Patchwork, c’est la couture.

Raphaël Monticelli
Nous sommes au plus proche de la cicatrice…

Alain Freixe
Cicatrice ? Le terme dit trop peut-être la suture, ce côté bien fait qui vise à faire oublier l’intervention. Ou alors elle serait du côté de la scarification où c’est le bourrelet de chair qui fait ligne et signe. La couture est la vérité de l’ajointement. Elle dit l’impossible jointure. La nécessité de créer des bords. Voilà pourquoi je préfère le terme de nervure, parce qu’avec la nervure, nous sommes du côté de l’irrigation – je pense toujours aux flux des sèves – quelque chose qui tient, qui ouvre, porte, se déploie, se montre.

Raphaël Monticelli
En même temps, c’est la couture qui, dans le Patchwork, est le principe constructeur et compositeur. Par ailleurs, Il y a, dans le travail d’Alocco, un autre type de fil dont je voudrais parler…
Le fil de la couture est un fil extérieur qui vient unir les fragments épars. Quand on déchire du tissu dans le droit fil, il se produit des effilochages et des tombées de fil. Alocco a récupéré et recyclé ces fils par tricotage. Dans ce cas, il fait faire le tricot… Dans les premières pièces, le tricot est présenté à côté du Patchwork et on voit très bien, dans ces œuvres-là la filiation entre la toile d’origine et le tricot , par exemple dans l’organisation des couleurs… Puis il a réintégré le tricot à l’intérieur du Patchwork.

Alain Freixe
En même temps il fait apparaître le fil caché du tissu.

Raphaël Monticelli
Voici encore ce qui me trouble : on a l’impression qu’Alocco est constamment en train de repousser le moment de l’achèvement de l’œuvre… Nous le voyons là, traversé encore par une des grandes problématiques de l’art moderne et contemporain… Où sont les limites de l’art ? A partir de quel moment y-a-t-il œuvre ? A partir de quand peut-on dire d’une œuvre qu’elle est achevée ? Cette problématique, nous la trouvons dans les arts plastiques, sous la forme du rapport aux limites, du point de vue purement physique, purement géométrique même : où se termine le tableau ? Ce qu’il y à l’entour du tableau, entre un tableau et l’autre, n’appartient-il pas, toujours, à l’art ? Dans le cas d’Alocco, avec le Patchwork, d’un tableau à l’autre, d’une pièce à l’autre, on est toujours dans le même tableau, un peu comme si le même travail était en constante évolution. Dès le début du travail en patchwork, d’ailleurs, Alocco n’intitule pas ses œuvres « Patchwork n° 1 », « Patchwork n° 2 »… mais « Fragment du Patchwork n° 1, fragment n° 2.. ». Chaque « Patrchwork » est le résultat de la recomposition des déchirures ou des déchirements d’une étape antérieure, et lui-même n’est qu’un élément, un fragment du grand Patchwork en cours ou à venir. On se retrouve dans ces problématiques de l’infini possible de la construction de l’art, ou de son impossible finitude.
Il y a aussi des techniques de ce genre en littérature, et c’est plutôt sur celles là que réfléchit Umberto Eco dans « l’œuvre ouverte » .

Une poétique à l’œuvre

Alain Freixe
Oui, l’œuvre d’Alocco relève de ce qu’umberto Eco appelait en 1965 une « poétique de l’œuvre ouverte ». Non seulement parce qu’elle s’offre à la diversité des lectures et des interprétations mais aussi et surtout parce que ses horizons sont toujours ouverts, disponibles aux re-prises, re-lèves. Peut-être est-ce là la raison qui permet à Alocco de revisiter ses anciens poèmes et de les insérer – tout ou parties – dans ses œuvres nouvelles, comme dans son Laërte par exemple.

Raphaël Monticelli
Il serait intéressant d’étudier la façon dont certaines techniques employées en littérature ont été importées en peinture par Marcel Alocco ; ça peut être le travail de Joyce ou celui de Pound, cherchons aussi parmi les écrivains du cut up , ces techniques du texte découpé remonté, qui ne sont du reste pas loin non plus des techniques surréalistes, dans lesquels on a des agencements aléatoires d’éléments prédéfinis d’une écriture…

Alain Freixe
D’une pratique impersonnelle, objective de la littérature à la peinture d’Alocco la voie est bonne comme tu le proposes. Ce risque de l’illisibilité qu’encourent en toute conscience certains remuements de langue, je le vois moins à l’œuvre dans les derniers textes d’Alocco que ce soit les poèmes de la Musique de la vie ; le « pastrouil » - tu noteras ce nouveau genre où chacun titube de la langue ! – de La promenade niçoise ; ou le roman Laërte ou la confusion des temps.

Raphaël Monticelli
Voyons cela, justement, la construction d’une œuvre durant un demi-siècle, entre peinture et écriture, et la façon dont prend forme aujourd’hui une œuvre comme le « Laërte ». Tu dirais « écriture re-composée », « ré-apaisée ».
Les écrits d’Alocco dans les années soixante / soixante dix, nous y avons fait allusion, relèvent bien souvent de la recherches : comme ces poèmes auxquels je faisais allusion et dans lesquels les signes de ponctuation prennent une sorte d’autonomie et sont présentés comme s’ils assumaient une fonction signifiante propre. Un rôle de construction plastique. Il y avait là une recherche en écriture qui s’inscrivait dans cette volonté de dé-construire / re-construire le texte, proche, on le voit, de ce qu’il faisait en peinture. Avec des ouvrages comme « promenade » ou le « Laërte », nous serions dans un autre souffle, une autre construction, une autre linéarité moins expérimentale ?

Alain Freixe
Ni le Laërte, ni La promenade niçoise ne relèvent des pratiques scripturales des années 70, ni de celles que l’on peut voir à l’œuvre aujourd’hui chez de jeunes auteurs comme Nathalie Quintane, Patrick Wateau ou Emmanuel Laugier pour ne citer que quelques noms. Je dirais que le lecteur traditionnel se retrouve avec plaisir dans La promenade niçoise comme dans le Laërte, mais pour être vite confronté à ce passant qui affirme « je marche. Je pense ». A suivre, donc…et tu l’imagines, son pas est alerte !

Raphaël Monticelli
il y a aussi chez Alocco, tout le long de ces cinquante années une sorte de conquête des textes anciens et des mythologies. L’artiste très « moderniste » des années soixante, qui refusait les références explicites aux classiques et à l’antiquité, dans une posture assez proche de celle des dadaïstes ou des futuristes, va intégrer de plus en plus de références antiques, classiques, bibliques, jusqu’à intituler un de ses romans, "Laerte"…

Alain Freixe
Oui, c’est le père d’Ulysse, c’est vrai…Mais il est également l’homme d’aujourd’hui. Il tourne dans son « il(e) », Ithaque, comme en lui-même, en quête d’un certain ordre intérieur qui toujours lui échappe. C’est là que les mots de « confusion des sentiments », qui appartiennent en propre au titre, sont intéressants car ils font signe vers une confusion des voix et donc des temps : temps du mythologique, temps de l’histoire, temps de la mémoire personnelle toujours lacunaire.

Raphaël Monticelli
Voilà une référence qui fait écho au sous titre de son premier roman « Au présent dans le texte », et au mélange des images et des références dont nous avons parlé.

Alain Freixe
Laërte, c’est la figure du père mais d’un père sans pouvoir, d’un père blessé. Ce « témoin boiteux d’un passé indécis » est un boiteux des pieds comme de la langue ! Il nous ressemble, j’insiste avec Alocco qui à la date du 1 mai 1999 écrit dans La musique de la vie : « humain toi aussi tu te nommes pour à jamais Laërte ». Comme lui, nous « (marchons) sur les mots », tournons autour d’un mot qui manque, mot de passe pour le réel. Je crois que c’est cela qui donne à l’écriture de Marcel Alocco cette tension intérieure où l’on pourrait reconnaître quelque chose comme le mouvement même de l’amour : amour de la langue, d’une terre et de la femme.
Ce livre présente à mes yeux quatre caractéristiques. La première tient au brouillage des voix narratives : la confusion des temps s’articule sur la confusion des voix

Raphaël Monticelli
ce qui n’est pas loin de l’accumulation des références dans la première étape du Patchwork.

Alain Freixe
La deuxième, c’est l’insertion… Ce n’est pas tout à fait le cut up dont tu parlais tout à l’heure, c’est l’inclusion, dans ce texte de prose, de fragments de poèmes publiés par ailleurs. Cela me semble renvoyer à une stratégie de nouages, d’un rituel de reprises, de relèves comme je le disais tout à l’heure. La troisième caractéristique, c’est le souci d’une composition qui fasse sens : par exemple, 24 chapitres dans l’Odyssée, 24 dans le « Laerte ». Il s’agit toujours de fragmenter puis de défragmenter, de tenter de mettre un ordre lisible dans le désordre illisible du monde comme il va.
Enfin, dernière caractéristique, l’idée du trajet, cette circulation sur les bords d’une île dont on fait et on refait le tour en se demandant toujours par où l’on passe, comment on s’en sort, où je retrouve le thème de la création en général , celui de la recherche d’une issue possible.

Raphaël Monticelli
Cette description que tu fais du Laërte pourrait s’appliquer à la démarche du Patchwork : accumulation des références, inclusion des différences, souci de la composition, question des limites et de l’issue… Faire œuvre avec le brouillage des temps et des voix.

Alain Freixe
Pour revenir au problème de l’inachèvement… Le plus redoutable, c’est l’immobilité… Il faut continuer à marcher, à avancer, on n’a jamais fini le tour… La sortie, dit Alocco, est miraculeuse… A propos du Laërte, il dit : « Laërte fait une fois encore le tour de son île (…) jeter une fois encore les dés, tenter avec deux dés le 13 miraculeux ».
J’aurais aimé revenir sur une autre élément qui contredit la distance dans l’œuvre d’Alocco. Je fais allusion à un article que tu as signé, concernant les œuvres sur les cheveux –et je sais qu’il t’en a coûté. Tu faisais intervenir Martin Winckler comme l’homme de la solution ou de la bonne piste, pour légitimer cette apparition des cheveux. Ainsi on se retrouvait dans le thème de l’origine, et on comprenait qu’avec cette question des cheveux la boucle était bouclée, y compris plastiquement. J’aurais aimé ajouter une référence : tu te souviens, le Roi Marc... C’est un cheveu qui déclenche tout. C’est le cheveu d’or d’Yseult qui arrive, porté par le vent, et, à partir de ce cheveu, c’est l’histoire de Tristan qui se met en branle. Tristan et Yseult s’ouvre sur la quête du cheveu d’Yseult la blonde. Tout se joue sur cheveu... Tout arrive, à un cheveu près... Et Alocco, en plus, il tresse les cheveux. Tu imagines... Il y a là quelque chose qui se boucle... Ce n’est pas le retour à l’origine où tout se fixe. L’origine, c’est ce qu’on retraverse sans cesse pour pouvoir continuer. Et quand Alocco dit « maintenant j’arrête », on sent qu’en effet, avec cette arrivée des cheveux, quelque chose s’est achevé que toute sa vie créatrice il a cherché à tisser, à couturer, à refiler...

Raphaël Monticelli
Pourtant il a aujourd’hui repris la peinture. Et ce qu’il fait semble tout à fait en dehors de ce que nous avions vu de lui ; pourtant, il poursuit toujours la même piste : il utilise désormais des dessins d’enfant qu’il reproduit en se bornant à doubler leurs dimensions. Il fait avec ces images-là, ce qu’il avait fait, juste avant le Patchwork, quand il avait reproduit sur toile les images de la culture visuelle.

Il ne fait pas de doute qu’il y a chez Alocco un grand souci de l’origine : un peu comme s’il cherchait à réaliser, refaire ou inventer un mythique premier tableau. La série des œuvres réalisées avec des cheveux, va dans ce sens… Le cheveu, comme s’il était l’origine du fil. Et cette mise en ordre des cheveux pour faire tissu, comme si c’était l’image du premier tissu… Et les premières images, d’où nous viennent-elles ? De Mickey et Lascault ou de l’enfance ? Nous voici dans l’utopie d’un antérieur de la culture, ou dans l’exploration de ce moment où la trace commence, chez l’enfant, à installer un espace nouveau : l’espace du signe, en même temps que se structure la maîtrise du langage.
Tu dis que, de l’écriture à la boucle de cheveux, la boucle était bouclée. Ajoutons-y cette phase d’après la fin : le dessin d’enfant ancre désormais le travail d’Alocco dans un autre avant de la peinture et de l’écriture, comme s’il se remettait à la recherche de l’origine commune et sans doute oubliée.
Je ferais bien référence à nouveau au récit : « au présent dans le texte »...

Alain Freixe
Je suppose que tu penses aux dernières lignes de la préface « poésie, simplement la ficelle, peut-être, qui fait parler les amnésiques ».

Raphaël Monticelli
oui, c’est ce à quoi je pensais… Et, pardon pour le jeu de mot facile, c’est la le fil conducteur d’une oeuvre qui se donne forme, dans la déchirure, le patchwork, le détissage, la couture, le cheveu, à la recherche de l’enfance engloutie.

Alocco, la fonction critique…

Raphaël Monticelli
Nous avons vu bien des facettes d’Alocco, il faudrait maintenant passer à la critique… Il est à la fois critique littéraire et artistique….
Il faut remarquer d’abord que Alocco a mis en avant un grand nombre de démarche, et qu’à sa façon il a été un découvreur. Un découvreur d’écrivains d’abord. Il a été le premier à parler d’auteurs comme Biga ou Jean-Pierre Charles et l’un de ceux qui défendaient, dans les années 60, dans sa revue « Identités », l’œuvre d’un Dadelsen ou d’un Claude Simon. « Identités » est aussi une des premières revues a avoir défendu l’école de Nice, à avoir parlé de Ben. Tout le long de sa carrière, apparaît son intérêt pour les jeunes écritures et les jeunes pratiques de l’art, et encore aujourd’hui. En même temps c’est quelqu’un de critique et même d’acerbe, qui peut avoir la dent très dure tout en pratiquant cette indéniable générosité du regard…

Alain Freixe
et intervenant dans des revues à large diffusion, comme La strada, il a cette volonté de diffusion massive, cette volonté de vulgarisation, comme cette anthologie qu’il m’avait proposée pour le Patriote Côte d’Azur, qui malheureusement n’a pas pu se poursuivre au-delà de la troisième livraison. Cette attitude n’est-elle pas contradictoire avec la distance que nous évoquions tout à l’heure ?

Raphaël Monticelli
C’est une volonté pédagogique… Il prétendait du reste, dès les années 70, que le peintre devait être le pédagogue de son propre travail, que s’il ne se soumettait pas à cette exigence, personne d’autre n’aurait pu le faire à sa place… Retenons ce souci de faire savoir… Et creusons ses approches critiques, sa façon d’approcher la lecture critique en littérature, par exemple. Je pense aux critiques extrêmement dures qu’il avait à l’égard de certaines formes poétiques…. Je songe à sa mise en cause de la poésie « paysanne » ou « rurale » qui s’en va chercher ses images dans un fonds terrien dépassé… Dès les années 60, il se positionnait ainsi clairement du point de vue idéologique et thématique… ça renvoie à ce que je disais plus haut de ses référents dadaïstes et futuristes qu’il retrouve dans l’expérience de Fluxus, de son soubassement avant-gardiste qu’il partage avec tous les artistes de l’école de Nice. Me revient en mémoire cet article où il dit « ne pas beaucoup aimer ce paysan amidonné »… Guy Chambelland… L’école de Nice est une école de l’urbanité… Marcel Alocco est, en ce sens, à la recherche des problématiques de la ville.
Il y a aussi, dans les attentes du critique, tout ce qui est de l’ordre de la nouveauté. Marcel Alocco, c’est une curiosité toujours en éveil qui cherche constamment à être sollicitée, surprise. Lorsqu’il s’en va chercher des artistes ou des écrivains, ça n’est pas pour admirer des savoir-faire et des maîtrises, c’est davantage pour y recontrer des ruptures. Alocco me semble ainsi être un critique de « la vulgarisation de ruptures », et, en ce sens, il est particulièrement « école de Nice ».

Alain Freixe
Ces deux termes sont importants et pertinents pour les approches d’Alocco : vulgarisation et rupture. Je relève la formule, elle est très juste. Ajoutes-y la générosité : il donne des pages à des revues pas toujours très bien diffusées – comme le sont malheureusement souvent les revues ! - et dont on ne sait jamais chez qui elles tombent.

Raphaël Monticelli
Enfin, il y a, chez Alocco critique, un positionnement sur des principes. Principe de l’urbanité, de la modernité, de la rupture, de la surprise, de l’inattendu. On pourrait reprendre les critiques d’Alocco et s’interroger sur la cohérence de son regard critique. Il y a sans aucun doute là beaucoup à apprendre sur une « esthétique au quotidien ». J’ai entendu un critique niçois défendre l’idée que, dans sa déontologie, dont il disait qu’elle était partagée par ses confrères, l’un des principes était de ne pas parler de ceux qu’il n’aimait pas. Ça n’est pas l’attitude de Marcel Alocco. Quand il n’aime pas une œuvre, il en parle aussi. Dire "ne pas aimer" ne signifie pas, pour Alocco, ne pas être séduit, ou ne pas éprouver d’émotion. Ne pas aimer, c’est extimer que que l’œuvre n’apporte rien, qu’elle ne s’inscrit dans aucune rupture…. Je me rappelle la critique qu’il avait adressée aux premiers numéros de la revue Nu( e) : il dressait la liste des auteurs que présentait la revue et concluait en la félicitant de ses choix en faveur de la jeunesse et des nouvelles écritures. Sur le mode de l’ironie qu’il affectionne, il mettait en cause ce qu’il percevait comme une insuffisance de la revue.

Alain Freixe
Serait-ce défendre la revue Nu( e) que de dire que nous ne sommes plus, peut-être, dans un temps où les revues sont les creusets de la création….

Raphaël Monticelli
Pourtant, il reste des revues qui remplissent ce rôle… Et Alocco a été lui-même un homme de revue

Alain Freixe
à une époque où les revues étaient liées aux avant-gardes ; maintenant, on est plus dans la garde que dans l’avant-garde…

Raphaël Monticelli
Identités, intervention, Open… Il aussi dynamisé la revue du CRIA, participé à celle de Lieu 5…

Alain Freixe
Oui, c’était les années de Tel quel, La Nouvelle Critique, Change, Scription Rouge, Digraphe, Poétique, Gramma, Manteia, à Marseille, Encres vives, qui n’était pas Encres vives d’aujourd’hui, à Toulouse, et tellement d’autres que j’oublie, ça foisonnait alors… Et Alocco est sans doute resté fidèle à cette nécessité de revue qui soit du côté de la création… Mais aujourd’hui, les revues que je peux connaître ne remplissent plus tout à fait ce rôle. Si création il y a, c’est plutôt du côté d’internet avec des sites comme remue.net, Inventaire/ invention.com …et bientôt, je l’espère, Amourier.com. Ce qui est important, c’est la vulgarisation des ruptures… Il est sûr que quand il ne trouve pas les ruptures, quand il se retrouve face à des frontons qui donnent un savoir sur un poète connu, il est moins à son aise.

POUR SERVIR DE CONCLUSION…
CETTE BEAUTÉ QUI NOUS DOUE DE LOINTAIN

Alain Freixe
J’aimerais bien rajouter une dernière chose : une fois tout ça mis en place, Raphaël, eh bien, Alocco, c’est beau, quand même, non ? Ou si tu préfères, et la beauté dans tout ça ? Tout ça, cette « œuvre ouverte », ça ne produit pas que des effets de joliesse, tout de même ! On prend de la distance, on travaille, on construit, et ce que l’on produit, in fine, ça a quand même quelque chose à voir avec la vieille notion de beauté... oui ou non ? Je sais que Marcel Alocco récuse cette notion de beauté, mais le fait s’impose : quand on est devant les Patchworks et que la parole est soufflée, les mots qui viennent spontanément, les premiers mots c’est souvent, et il faut les prononcer en un souffle, d’une seule émission de voix précédée d’une interjection parfois non exprimée : « … c’est beau ! ». Ces mots, si simples, de quoi témoignent-ils ? Harmonie, coloris, surprise, étonnement... je ne sais : il se passe pourtant bien là quelque chose qui m’affecte.
Voilà un thème à quoi il faudrait régler son compte : le beau. Il faudra en parler : on n’est plus dans les années soixante. On a traversé ce désert-là.... et la notion de beau, curieusement, revient, sous la plume, par exemple, de René Char aux moments les plus sombres. Au moment où il devient le Capitaine Alexandre, où il est dans le maquis, apparaît « beauté ma toute droite », ce qui surgit au moment ultime où plus rien ne tient... On ne peut donc pas laisser cette notion comme ça...
Parce qu’il y a une étrange harmonie dans ces oeuvres, il y a un ton, une recherche colorée… Autrement dit… Je ne sais trop dans quelle séduction nous sommes, mais il y a une harmonie des contraires, dans la belle tradition de la philosophie grecque : comment unir les contraires ? Que d’abord chaque terme soit bien contraire à l’autre. Il y a deux types de mélange : ou bien je mêle deux éléments pour en précipiter un troisième, ou bien je prends deux éléments qui restent bien deux… C’est le vieux polémos grec de la lutte entre les contraires : au lieu de se diluer, chaque unité demeure bien distincte. Dans un cas on obtient un rose, dans l’autre un rouge qui crie fort sur le blanc, et nous sommes chez Perceval face à ses trois gouttes de sang sur la neige. L’idée, c’est que pour que ça vibre le rouge doit rester rouge et le blanc doit rester blanc. Si le mélange c’est la confusion, ce n’est pas bon…

Raphaël Monticelli
Mais quand il met un sous-titre Alocco parle de la « confusion »

Alain Freixe
Oui… Mais peut-être lutte-t-il contre cette confusion. Le danger, c’est la confusion et toute la pratique consiste à éviter confusion… Toute pratique artistique c’est de résister à la confusion. C’est le plus facile, la confusion, notre spontané. Ce mauvais mélange, c’est la confusion, c’est cette « confusion des sentiments » dont parle Stefan Zweig. Et ces cheveux qui t’ont tant troublé, ces cheveux tissés, est-ce qu’ils produisent de la confusion ?
Le mélange, c’est quand la neige n’est plus neige et que le sang n’est plus sang, reste une boue rose sale. Et ça, ça n’est pas Alocco.

Raphaël Monticelli
Bon… Je voulais en effet venir moi aussi sur cette question de la beauté. Mais auparavant, je voudrais dire que je suis, depuis des années, d’accord avec Alocco sur cette question : la beauté n’a pour moi de sens et de définition que par rapport à une histoire, des pratiques, des usages sociaux. Je ne me placerai pas sous le regard de l’éternité. Je refuse l’idée d’une beauté intrinsèque et objective. J’en refuse l’idéal.
Ce que j’accepte de prendre en compte, c’est la façon dont une société, à un moment de son histoire construit son arsenal esthétique. Elle le fait à partir de paramètres très nombreux qui vont de la façon dont se vit, se dit, se partage l’expérience de la naissance et de la mort, celle du corps, de la reproduction, du sexe, de l’œil, du regard, du savoir, de l’autre, et la conscience qu’on en a et les modalités par lesquelles passe cette conscience… Entrent dans cette construction les approches que les hommes d’une civilisation peuvent avoir des formes du monde qui les entourent et qui semblent plus ou moins leur échapper, et la connaissance qu’ils ont de la raison de ces formes. Les habitants du Sahara ne peuvent pas avoir la même esthétique du sable que ceux de l’Europe du Nord. Et, partant, pas la même construction de la beauté.
Est-ce que la beauté peut cependant être un élément opératoire… Je ne sais donc pas si ce que fait Alocco est Beau ou Pas-beau, ce que je sais c’est que, si la beauté est constituée de l’ensemble formes symboliques nécessaires par lesquelles nous pouvons voir, sentir et penser notre présence au monde, alors, nous sommes condamnés sans trève à enfanter de la beauté... Nous sommes condamnés à mettre au monde des objets dans lesquels nous pouvons nous voir, nous reconnaître, inventer de la distance et la proximité, des objets qui nous permettent de nous penser et de nous sentir au monde. C’est sans doute ça que nous nommons "beauté" , c’est ce que nous sacralisons, séparons, fétichisons, disons « beau »… La question que je poserais alors n’est pas de savoir si ce que fait Alocco est « beau », mais si les objets qu’il produit nous aident à comprendre le monde…

Alain Freixe
C’est ce que tu proposais quand tu disais qu’Alocco nous donnait une « redéfinition de la beauté »…

Raphaël Monticelli
Je disais qu’Alocco fait partie de ces artistes qui nous proposent une redéfinition de la beauté… « J’ai assis la beauté sur mes genoux…

Alain Freixe
… je l’ai trouvée amère, je l’ai injuriée… »

Raphaël Monticelli
Il est de ceux qui nous disent que la beauté n’est jamais donnée, qu’elle est à construire, sans cesse, à redéfinir, pour donner à l’œil et au regard un autre système de références et de valeurs.. Oui, Alocco est « créateur », et on ne peut être créateur que ... de beauté ? Un créateur intègre dans notre champ sensoriel, dans notre expérience sensible, dans nos capteurs du monde, de la beauté possible… Il a fallu des millénaires pour que les sous-bois et les coucher de soleil deviennent beau, il a fallu les humaniser, les apprivoiser, les pacifier, les pacifier… Toutes ces choses sont effrayantes avant d’être belles… Et nous sortons la beauté de ça : d’une maîtrise apaisée du réel…

Alain Freixe
Et un jeu avec l’effrayant…

Raphaël Monticelli
Forcément… Je suis fasciné par ces écrivains, ces peintres, ces musiciens qui cherchent à apprivoiser ce monde si peu aimable dans lequel nous sommes. Alocco fait partie de ces gens qui nous y aident et qui nous aident à survivre à « l’invasion des images » dont parle Michel Butor… Comment résister à l’invasion de ces images : ce qui a été bouleversé, c’est leur statut, en même temps que le statut de l’écrit, de la parole même. L’imagerie de notre civilisation a été absolument remise en cause cette dernière centaine d’années et, en même temps qu’elle, tout notre système de représentation du monde. Comment allons nous vivre avec l’omnipotence de l’image ? Il y a deux vieux mots dont nous nous servions dans la philosophie, la théologie, les sciences, et dont l’usage aujourd’hui doit nous faire bien réfléchir : « Logos » est le premier. « Icône » est le second… Nous ne disons plus guère le « Logos », mais nous suremployons les « logos »… C’est dire à quel point nous subissons l’invasion.
Alocco fait partie de ces gens qui prennent à bras le corps ce problème-là, qui cherchent, en effet, à nous donner des repères nouveaux dans la confusion des images… Ils nous rend Mickey et Lascaux, en même temps, comme nous le vivons, et Matisse et Cranach et le logo des PTT, comme nous le vivons ; et, avec cette confusion que nous vivons, il fait œuvre, c’est à dire, comme tu l’énonçais justement, qu’il nous propose un lieu de la confluence de ces contraires-là… En même temps, il produit des mythes nouveaux ; mythes de l’origine de la peinture et de l’art dans lesquels le corps se trouve paradoxalement réinvesti : dans le fil, la couture, le détissage, les cheveux qu’il tisse et dont il fait –symboliquement- le tissu d’origine… Si en effet nous créons quelque part de la beauté en ce monde, c’est dans des pratiques de cet ordre-là. Alocco ne nous donne pas la beauté des choses, ne nous dit pas la beauté du monde, il est en train de nous fabriquer la beauté dans notre regard.

Alain Freixe
le cheval de Lascaux à Lascaux, il ne doit pas être vilain…

Raphaël Monticelli
Il est désormais interdit aux regards et nous n’en voyons plus que des reproductions… Du reste, il n’y a pas de "Cheval de Lascaux" dans l’œuvre d’Alocco, il y a quelque chose qui se proclame "image" – et pas même techniquement ressemblante ; en l’employant Alocco cherche à refonder comme beauté pour notre œil d’aujourd’hui ce que sans doute la conscience préhistorique ne pensait ni comme beauté ni comme art. Alocco refonde la beauté de Lascaux dans son actuel dialogue avec Mickey.

Alain Freixe
la boucle est presque bouclée… pour moi, il n’y a pas d’image sans distance. Le drame des images contemporaines, c’est qu’elles suppriment la distance. Si l’image ne crée pas du lointain, si ça se donne pour de la réalité, c’est l’obscénité absolue. Le problème des images et de leur invasion aujourd’hui c’est qu’elles ne se donnent plus comme images mais comme réalité. L’image de l’art, c’est celle qui nous « doue de lointain »… Non pas celle qui nous rejette, mais celle qui nous met à bonne distance des choses et nous permet de voir. Pour mettre cette distance, Alocco a aujourd’hui besoin de reprendre la toile, de la déchirer, sans quoi, il ne la doue pas de lointain. Il y a de la beauté parce que… on a le souffle coupé avant que ne reviennent les mots ;
Il y a cette définition de Borgès : « la beauté c’est l’imminence d’une révélation qui ne se produit pas », et Alocco dit que, son « Laërte », c’est plein de guetteur et de sentinelle…. il y a cette imminence de la révélation Laërte c’est le guetteur qui guette le moment où l’on pourra passer, le moment de la beauté…
Oui. La beauté c’est ce qui est capable de nous donner du loin quand tout nous force à nous coller aux choses… Et nous retrouvons la distance initiale fondatrice d’humanité.

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