Disparu
Cher Disparu
Tes arbres se sont tus
reste leur inspiration le souffle
qu’ils prennent à la terre
ce suc qu’ils vont recueillir au creux de la terre
parmi les vies les plus sourdes et les plus humbles
dans le frémissement secret qui les parcourt
jusqu’aux radicelles
les arbres se sont tus
ils ont cessé leur grand palabre avec le vent
et leur danse immobile sous l’emprise du vent
reste cette respiration sourde
qui rythme leur lente dissolution
dans le sein de la terre
ils se sont tus palpitants
leurs grands rêves d’arbre reposés sur eux-mêmes
retombés sur eux mêmes et se condensant au creux des souches
devenus souche
ils attendent
ce regard qui fera se lever dans le silence
les mots lovés dans les rides du bois
Nous parles-tu, cher Disparu ?
Tu nous as laissé ces simulacres
l’énigme silencieuse aveugle et sourde
regardant
juste au dessus de nos fronts
le soleil levant sur notre
disparition
Tu nous as laissé ces simulacres
ils ont perdu tes couleurs
la forme de tes yeux le dessin de ta bouche
Tes lobes délicats à l’écoute du monde
D’où parlerais-tu
tu t’es abîmé dans le silence blanc
regards en toi-même retirés
tu as cessé ton grand palabre avec les arbres dans le vent
tu ne tutoies plus les arbres que tu aimes ni le vent et la pluie dont tu aimes la parole vive dans les feuilles
tu ne lances plus tes regards dans le fouillis des arbres
tu ne tresses plus tes chants tes sifflets ta guitare
avec les murmures rassurants de l’arbre musicien
D’où parles-tu cher Disparu
les eaux se sont retirées
on ne les entend plus
lécher les rochers
lisser les sables
elles ne multiplient plus les soleils
parmi les langues de la mer
Tu as perdu tes rides tes couleurs
tu as perdu le dessin de tes yeux
reste cette tension supposée du regard
suspendu au dessus de l’horizon
guetteur de crépuscules
assoiffé d’aubes
clouant au ciel ce point le plus proche des mutations
tu as posé au seuil de l’histoire
cette écume troublante
geôle de bruits et de lumière
ce fossile d’espace où s’est emprisonnée ta voix
l’énigme des gisants redressés
qui regardent
juste au dessus de l’horizon
dans la pâleur d’une histoire
qui vient de se lever
juste ce moment où l’on commence à fixer la parole
le commencement de notre perversion
Tu nous dis
l’attente suspendue
tes regards suspendus au dessus de la pierre inerte
l’aisance de ton bras docile
de tes mains de tes doigts dociles
dégageant du marbre le corps enfoui
l’idole qui attendait
depuis l’origine des pierres
le martèlement léger serré qui cloue l’air salé sur la pierre
pour lui donner l’éclat terni de l’écume figée
clouant dans la pierre
les bruits et les mots que porte l’air
les odeurs les rumeurs qu’il porte
les désirs et les douleurs
les rires
Tu nous as laissé
l’agitation du peuple dans les rues électriques
ce grand remue-ménage de foule affairée parmi les caquètements les grognements les bêlements le désespoir des coqs
l’odeur du suint du crottin la poussière et la boue de rues
parfums mêlés de miel de lait de purin de vieux caillé cet âpre rance collé à des suavités de lavande
l’attente suspendue
la pénombre aux odeurs d’huile vieillie du fond des échoppes dans le parlement des mouches
dans le silence d’os et de corne l’opalescence de marbre timide que tu nous a laissé
cette énigme lisse et dépouillée
qui rend à l’œil au plus précis
sa part de lumière
tu nous a laissé ces simulacres
cette énigme blanchie aux reflets d’écume
la grâce des gisants debout
fixant juste au dessus de l’horizon
le point le plus proche
de toutes les disparitions
balbutiements de l’histoire
griffures d’oiseaux sur le sable
pépiements qui prétendent devenir traces plus durables que le fer ou le bronze
parole qui reste après ta mort
ce chant lointain
ce chant d’eaux mortes chairs défaites
qui se fraie un chemin parmi les pierres
l’inspiration que tu prends à la terre
aux arbres aux pistes de la terre et de la mer
aux sentiers du ciel
ton chant cher Disparu