Les petites fleurs des champs saisies dans la résine, on les trouve par conteneurs entiers chez les marchands de souvenirs, les artisans, les ambulants, petites fleurs de rien, fauteuses de mémoire... De longue date il cherche à conserver intactes les toute petites vies qu’il ramasse : fourmis, mouches, guêpes, pucerons... Les fige dans une goutte de colle en tube. Les place à son chevet. Résultat décevant : manque de transparence ; trop plein de bulles d’air. Il a abandonné la technique ; reste sensible aux inclusions, aux éveilleuses d’émotions. La taxidermie, la dessiccation végétaux l’attristent, lui répugnent. Mais il aime les herbiers, leur trouve un charme de momies qui dorment et de photos jaunies, et plus encore quand la plante a été aquarellée comme on le voit dans les recensions de Jean Baptiste Barla ou dans les complexes jardins des enluminures. Mais c’est l’inclusion qui l’attire, maintenant, ce moment saisi, ce pris sur le vif, dans la transparence modeste de l’altuglass, cet aspect celé, intouchable et -pour cela- parfaitement vivant d’aspect... Il se dit : "Tuer la mort en nous, c’est mourir tout vivant à jamais". Il se demande si c’est ce qui le fascine dans les petites fleurs des marchés saisies dans la résine... Et quel rapport entre les glaciers, la banquise, et la résine des inclusions ? Et entre l’inclusion et Ötzi, marcheur sorti tout glacé des Dolomites des millénaires après sa disparition ? Ou ce ces carottes polaires tirées à 3 kilomètres de profondeur. On dit “pures” parce qu’elles conservent des traces d’une vie jamais souillée par nous. Et on en extrait une eau des origines. Et on la vend. Cher ? Eau figée incluse en elle-même, en elle même préservée, d’elle même se préservant. Image d’une éternité courte... L’atelier… c’est ici, dans l’odeur des matières, dans leurs couleurs originelles, dans le chuchotement des déchirures, dans les bruissements de pinceaux et de plumes, dans ce petit lieu à la lumière avare que se forge l’immensité de l’espace, les croisements, les carrefours, du temps. Je suis bien ce corps : une structure osseuse composée des mêmes matières que les reliefs dont je dérive sans doute, un sang de mer parcourt mes artères, chargé de ce même oxygène qui vibre dans les plantes sous l’effet de la même lumière, et mes veines charrient ce même carbone qui me fait frère des profondeurs... A travers des temps sans partage je rêve de jardins froissés qui retrouvent des épousailles à des filets ouverts sans fin à la plongée des goélands dans les gorges océanes. "Dieu est un vieux malin. On ne peut pas le rouler, lui". AOI