Aux barrières des octrois et aux portails des cathédrales je pourrai au moins espérer qu’un air plus léger que l’aube ouvrira à deux battants les portes de nos paradis. Grâces en soient rendues aux Moires : les dieux ne peuvent rien sur le destin des hommes. Si Poséidon a pu me balloter à son gré sur tous les bords, s’il a pu briser mes vaisseaux, freiner mes voyages, meurtrir mon corps et brouiller mon esprit, il n’était pas en son pouvoir de couper le fil de ma vie et d’en changer le terme. Athéna ne m’a jamais sauvé la vie : elle me l’a rendue plus supportable. Et peut-être, après tout, qu’en retardant mon retour à Ithaque, et en cherchant à s’imposer à ma vie, Poséidon n’a-t-il fait qu’ajouter des jours à mes jours. Peut-être a-t-il réussi seulement à suspendre, tant qu’a duré son acharnement, le travail de la Fileuse, retardant d’autant celui de l’Implacable. Peut-être, aveuglé dans sa colère, m’a-t-il fait le don de cette vie de douleurs et de délices, dont chaque instant fut un instant de vie en plus. Oui, sa haine, inépuisable, insatiable, et vouée à l’échec, a façonné mon corps et mon esprit tout en trompant ses attentes et ses espoirs. Pourtant il n’a pas ménagé sa peine, ce dieu lamentable. Mais c’était ainsi : je devais revoir Ithaque. On dit que c’est le Destin ; le sens de ma vie et l’ordre régulier du monde ; la force de cette île de pierres et de chèvres. La longue attente de mon chien. Le grognement de mes cochons et le travail de mon porcher. La vie de mon fils. Le travail têtu de Pénélope. On ne m’enlèvera pas de la tête que devant sa toile, elle suspendait le travail de la Fileuse et ne tissait et détissait rien d’autre que la défaite des dieux. Y avez vous déjà songé ? Voilà, se disait Josué, ce serait comme une espèce de tragédie dont on aurait évacué les héros et dont ne subsisterait que le chœur. Mais la parole du chœur serait vaine : il n’aurait d’autre action à commenter que celle de sa propre parole de lui même parlant. L’idée même de Destin disparue il n’y aurait plus rien d’autre en scène que la sordide banalité de la mort commune et vulgaire. Et le comte Roland mourant sur les marches toujours menacées d’un empire criait en vain pour appeler à l’aide. Et le son de l’olifant finement sculpté se perdait dans trop de vallées boisées avant d’arriver jusqu’au gros de la troupe. Qui entend les cris des peuples mourant aux marches des empires ? Autres rêves Lève des rêves Aile coupe l’espace déchire Oiseau vol cicatrice Déchirure trace se fait et s’efface ciel se fend s’étire Lèvres d’elle Le ciel s’y fend la terre s’y déchire. AOI