RAPHAËL MONTICELLI
Première publication : 17 décembre 2008
Dieu faisait silence, mais au fond, n’était-ce pas dans ce silence qu’il se manifestait le plus ? Il était ce silence, dans le brouhaha des foules et la confusion de la parole, il était ce non encore dit ou cet à jamais non dit ? Dans les rugissements, les feulements, les piaillements, les grondements, il était cette part d’inspiration à jamais silencieuse. “Heureux êtes-vous, croyants, se récitait Josué, non de croire, mais de ce fond de certitude qui donne sens jusqu’à vos doutes : il n’est pas de jour où je ne pense à Dieu et où cette pensée ne me taraude”. Autour de la fuite, ou du retrait, de Dieu, Josué avait réorganisé l’être là au monde dans l’humilité essentielle de la matière. Matrice. Et tout, dans cette présence lui rendait sensible et fraternel le lent et lourd effort des hommes pour donner visage à la divinité. Il y a, sur la route qui sépare le sanctuaire d’Athéna de celui d’Apollon, une source Castalie, née au creux d’un rocher, dont les anciens avaient fait un espace sacré parce qu’ils savaient qu’elle était divine et que son eau, mêlée au laurier et aux vapeurs de la terre, avait sur la Pythie des effets semblables à ceux du vin. Boire, manger, sentir, renifler, baiser nous met dans l’oubli de nous-mêmes et ainsi nous rapproche de Dieu, ça, on le sait depuis des temps immémoriaux. L’oeil, de nos jours, peut y lire les ruptures géologiques. L’investigation permet de dessiner le long voyage des eaux qui surgissent là. Ils savent que ses impuretés disent les territoires qu’elle a traversé. Pourtant, tout le savoir et l’astuce des hommes n’enlève rien à l’émotion du lieu. Bien au contraire. Les savoirs accumulés depuis la lointaine époque où l’on vénérait la source en la confondant avec la force divine qui lui avait donné naissance, l’ont rendue plus vénérable encore, et autour de la source barrières et inscription disent que le site est toujours sacré. Ce que nous savons aujourd’hui, c’est que la force divine qui lui donne naissance et à laquelle elle donne forme est un complexe et fragile équilibre de solidarités. Ainsi la langue. A l’origine de toute représentation de Saint François d’Assise, il y a, dans l’église de Pescia, ce retable de Bonaventura Berlinghieri. Peint sept ans après la mort du saint, cinq après sa cannonisation. Deux anges et six scènes de la vie de François encadrent son image qui prend toute la hauteur du retable ; un livre sous le bras gauche, il lève la main droite et ses doigts sont graciles et effilés à la façon romane. La cordelette qui ceint sa taille lui fait, en retombant, un mince et long pénis. Ainsi la langue.