PATRICK JOQUEL
JANVIER 2021
1er
moins quinze
hiver figé
la neige croustille sous les skis
je monte vers l’aurore
vers la lumière
un ciel bleu tendre me plonge les yeux
au sommet
le vent me tend les bras
je regarde la mer métallique
et au nord
j’égrène les noms du Mercantour
je les ai tous gravi une fois au moins
goûté leur saveur
++++
4
le vent d’Est
celui qui vient de la mer
et donne ici selon la saison tant d’eau et de neige
le vent d’Est effeuille les chênes
petit bruit de vent
petits bruits de chute ou de course
petits bruits d’hiver
je découvre l’intense architecture de chacun
les branches
de plus en plus fines et souples
un chêne
un corps
un monde
tous différents
tous chênes jusqu’au plus haut bourgeon
jusqu’au bout du bout
comme un désir
tenir le monde ou le caresser
l’offrir ou le retenir encore un peu
un tout petit peu
avant la chute
avant la perte
aller plus loin que soi-même
en cet insaisissable
où l’ombre de l’ombre projette
un désir
poursuivre
avancer
résister de bois ferme à l’effritement
le vent d’Est
vient de la mer
effeuille mes cheveux
petit bruit de vent
*
++++
7
le froid
les pins figés de neige
élan stoppé
silence drapé
beauté blanche
je monte
un crissement léger m’accompagne
feutré
douceur d’un matin bleu net
la ligne de crête semble à portée de spatule
je m’en approche
tranquille
et m’y arrête
j’infuse le paysage
un pays m’accueille
et je m’y sens bien
la mer au soleil joue avec un poème
les montagnes au nord avec leurs sommets
litanie des noms
souvenirs comme des cartes à jouer
la partie dure encore aujourd’hui
dans la pente
ma trace
témoignage d’un vivant
éphémère
++++
10
un banc d’étourneaux arabesque le ciel gr’hiver
se pose
flammes noires sur le chêne
bois nu
jacasseries à plumes
un banc d’étourneaux
une flopée de souvenirs
parfument ta mémoire
en mille géométries fugaces
autant d’étincelles dans ton cerveau d’artifices
mille étourneaux volent tes neurones
grignotent tes images
inventent un ciel aux saisons variables
un ciel pour toi
aujourd’hui
maintenant
un vol d’étourneaux
et tes pas citadins
tes pas dans le froid gr’hiver
des étourneaux
ton sourire intemporel
*
++++
18
j’écris à la table
un vol d’étourneaux traverse la baie vitrée
interrompt le clavier
je pense à l’été
à la mer
un banc de poissons volants
derrière eux
le bleu d’aurore et la neige des crêtes
zéro degré au balcon
les étourneaux nagent dans l’air glacé
flèchent mon regard
ils allègent mon silence
le voici maintenant plus profond
ce silence
plus joueur
joyeux
simplement joyeux
++++
19
comme un abrazo
glisser face aux montagnes
amoureux d’hiver
*
je fume au balcon
soudain l’étoile filante
clin d’œil du cosmos
++++
20
la neige couvre encore les pins sylvestres
appelle d’autres flocons
l’ubac ronronne
mes skis le caressent
je glisse
et mon regard l’embrasse
mes muscles s’embrasent
je suis vivant
et je passe en ce monde
qui passe à son rythme aussi
différent du mien
nous passons
le temps de quelques échanges
de quelques partages
quelques plaisirs joyeux
la vie a-t-elle un autre but que de passer
que de sourire
et parfois
de pleurer
d’un trop d’émotion
je ne sais rien de la vie
elle me vit
je la suis
le temps de quelques sentiers
à pieds ou en skis
selon la saison
l’air froid traverse mes poumons
le cœur pulse
et tout le corps respire
je suis bien dans ce corps
j’y resterai le temps qu’il veut bien m’accueillir
ensuite
on verra bien
je glisse aujourd’hui
bien équilibré
sur mes skis
cela suffit pour la joie
++++
21
thé au balcon
nuit noire
la pluie écoute
elle joue la traversière
où vibrent les dernières feuilles du noyer
laquelle passera l’hiver
?
à cinq heures le soir paraît loin
je ne suis pas pressé
j’entends la pluie ploquer mon thé
des ronds dans l’eau
comme les secondes d’une vie
juste des cercles d’horloge
que je traverse traversier
en pariant sur la feuille de la branche numéro quinze
du noyer d’en face
++++
23
sous la pluie
la neige
la neige éteinte
qu’un écureuil
braise ondulante
flambe
sur la neige
la pluie
la pluie
poudre de silence
aux doigts clavier
bois ou acier
la pluie
aux mille paillettes
aux yeux du passant
au jeu du vivant
silence les villages
autour de leurs feux
++++
24
sur la plaine
des dizaines de bonhommes de neige
vestiges d’un dimanche ensoleillé
de rires d’enfants
de sourires partagés
des dizaines de sentinelles blanches
fidèles au poste
droites sous la pluie
des dizaines de guetteurs
fondent et flottent
gris passé
lavis délavé
en ville comme au village
les enfants grandissent et s’éloignent
eux aussi
++++
25
ouvrir du temps
poser un silence
ici
respirer
les yeux clos
respirer profondément
lent ressac frangé bleu écume
puis ouvrir les yeux
plonger dans son regard.
ouvrir un temps
libre
et respirer
suspendu
puis renouer la marche
tranquillement
++++
27
descends de ton buffle
glisse et godille à tes pieds
la voie du haïski
++++
28
le mistral
son personnel silence
et ses houles de cyprès
d’oliviers
les grincés de bois
les fruissés des bambous
des roseaux
multiples solos
tout un ballet
plein les yeux
tout plein les oreilles
et la peau
qui retrouve la chaleur
effet de foehn
l’éclat des anémones
au balcon
la clochette de Kyoto
tinte à chaque rafale
rien d’autre
que la vie
la vie
et ses petits ou grands riens
++++
31
fin d’après-midi d’hiver
ciel gris
tout immobile
attente de la pluie
sur le chêne
les étourneaux jouent aux bougies
à change de branche aussi
silence
envol
le regard suit
puis
retrouve les gris
attend la pluie
un thé bleu fume la table
c’est tout