Localisation : 53°07’15.00" N -9°43’23.39" W
A Inishmore chaque plante est un trésor précieux. Sur le roc dépouillé le froid durant l’hiver, la pluie et le vent brutal en toute saison tentent de détruire la vie végétale, que les hommes reconstruisent opiniâtrement.
Ils ont ramené, à chaque voyage de leurs bateaux vers le pauvre Connemara, de la terre pauvre ; ils ont brûlé, saison après saison, le varech de leurs plages pour fournir un peu d’humus à des plantes rustiques et sobres. Ouvrage obstiné, réussite fragile, attestée pourtant par l’arrivée spontanée d’herbes inutiles, de chardons, de graminées qui se faufilent dans ce nouveau nid.
Inishmore est quadrillée de murets rêches de schistes secs qui suivent les ondulations du terrain et le caprice des chemins. Ils protègent la terre contre le vent, ils rassemblent en chambord les pierres que les îliens amassent pour dégager leur sol. Un chat roux dort d’un œil à l’abri du vent, pelotonné sur une pierre plate tiédie par le soleil.
Quelques maisons basses et gaies entourent le port de Kilronan où l’eau froide fait danser de fines barques bleues et les curraghs noirs. On y vend du pain et des fruits, des boissons, des pulls tricotés dont le point varie avec chaque famille de l’île. Plus au nord, le fort de Dun Aengus étage ses gradins en surplomb de la mer sauvage.
Il faut monter une pente rude et pierreuse pour accéder, derrière des buissons de fuchsias, à la triple muraille de blocs assemblés en demi-cercles sur le plateau qui forme le sommet. Le fort n’est que cela : trois demi-cercles concentriques de muraille épaisse, installés au bord du vide, soixante mètres au-dessus du flot furieux. Il est inexpugnable et inutile.
On n’a jamais su, en réalité, à quoi il était destiné. Était-ce un refuge contre des envahisseurs, un lieu de culte étrange, un théâtre pour des rites païens ? On l’a appelé « fort » parce qu’il en avait l’apparence et que la région a subi tant de conquêtes, de guerres, de fracas ; mais on ne connaît ni ceux qui l’ont construit, ni ceux qui l’ont utilisé s’il l’a été un jour, ni pourquoi il a été édifié. Il est la seule trace rugueuse d’hommes évanouis, muets, sans Histoire ni descendants.
Trois cercles de pierre au-dessus de la mer, au bord d’une falaise effrayante, enserrant un grand espace de sûreté, de jeu, de symbole peut-être. Trois cercles de pierre entre réel et imaginaire qui nous laissent devant l’énigme d’un passé de silence. Trois cercles de pierre qui résument à eux seuls le mystère de l’Ile des Saints.