Ce texte a été publié par les éditions de la Diane française en 2019 à l’occasion de l’exposition personnelle d’Henri Baviera à la galerie Quadrige.
Nous serons toujours ces marcheurs errants
rêvant d’abris
Tu construis tes abris
les creuses en terre
humide
les odeurs s’évadent le soleil
les boit
tu ouvres la terre
ouvres
les bouches les portes les
fleurs d’humus
terriers tanières
puits
ventres
autour
silence des herbes
soif des brindilles
jonchées de feuilles
lumière en flaques dispersées
légère
légère plume
sol d’ombre
autour
sol sans cesse défait
sol
sans cesse refait
ta main
cherche une forme
ta main
hésite en son parcours
hésite
les yeux
hésitent
autour c’est la panique des formes
ta main fouille ici
creuse
amène au dehors la terre
des pierres
des restes
des reliques de vies
atour de ton abri
ta main
les répartit
elles prennent
des formes inconnues
C’est juste un peu de pluie
un peu de
lumière
un rien d’ombre
que laisse une aile incertaine
la forme
passe
la forme
fredonne un chant inconnu
au milieu d’une musique de bourdons
et quelques cris
Et c’est juste
ouvrant la terre
la mise au jour inattendue de formes sur le sol
Ici
un peu de nuit s’est glissée entre les miettes
un creux de ciel est tombé parmi les pierres
un rire a glissé sur une herbe
ta main panique
ta main sous tes yeux surpris
Ici
des fleurs flétries festonnent le silence remuant des bois
teintent de tonalités tendres la gravité des terres
la profondeur des boues
s’évanouissent dans des murmures d’ombres
disparaissent à travers des velours nuageux et des lambeaux de ciel
Tu grattes creuses fouilles
caresses
tu ne sais si tes larmes sont d’émotion ou de sourde douleur
Partout des voix
elles glissent des feuilles des branches des écorces
mots indistincts paroles jamais entendues
qui s’unissent au chant sourd d’animaux ignorés
faune surgie des contrées étrangères
enfant que tu portes entre tes bras
tu appuies contre ta poitrine
ce corps innocent et nouveau
vibrant d’espoir dans la tragédie du monde
Elles se font tissu de bribes cocon œuf chrysalide
tu les accueilles
agenouillé sous l’amitié des arbres
tes mains à fleur de sol
tes yeux
plongés dans ce mystère
qui fait une île autour de toi
tu écoutes
des harmonies dont tu te dis que tu les croyais perdues
tu veux reconnaître un timbre un son un sens
tout s’échappe et t’échappe
tu sais pourtant
que leur musique dit Nous sommes
tu ne sais qui Nous sommes
les voix attentives
les corps à venir
les âmes errantes
de ce qui va venir
Tu écoutes et regardes
distances abolies temps suspendus
ton corps confondu au grand corps de la terre
ta voix perdue parmi les voix errantes
âme parmi les âmes
Toi animal et fleur entre terre et ciel
feuille et branche parmi les arbres
goutte d’eau dans l’eau des fleuves
Toi larme dans l’océan
miette du vivant
atome dans l’immensité
Tu construis nos abris
creuses à nouveau nos grottes premières
y fais naître
silhouettes entrevues dans la pénombre tressautante
d’aimables formes inquiètes
apaisées
inquiétantes
apaisantes
jardins envahis d’une vague clarté d’ombres lunaires
forêts traversées de présences furtives
bruissant à peine sous l’effet du vent
flaques ruissellements assoiffés de lumière
des pluies peut-être
Ces creux en nous
que tu crées
que tu combles
ces voix qui se lèvent
sous le clavier de tes doigts