Et tout avait été pendant des années à l’image de ces concerts qu’il goûtait d’abord, croyait-il, par convenance ou convention… Au fur et à mesure que la musique s’imposait, et peu à peu enflait, il se laissait aller à sa séduction, et se disposait à l’entendre de manière à en jouir le plus possible. Elle était, au début, comme étouffée par les bruits du dehors dont elle gardait encore en elle les échos, et lui parvenait incertaine, tremblante. Peu à peu, la disposition des sons le long des minutes s’effaçait de sorte que, alors que chaque son mourant était sans cesse remplacé par un autre il pouvait, en bandant son attention, réorganiser une autre harmonie comme superposée à celle que la musique, à chaque instant, proposait : l’harmonie construite par l’ensemble de tous les sons perçus en même temps. Le retour de la même suite à intervalles réguliers l’engageait à le faire et lui permettait d’envisager peu à peu l’ensemble comme une composition plastique.
En se répétant, la musique forçait un à un ses barrages, pénétrait en lui se coulant le long de sa peau, se glissant à travers ses pores ; elle s’installait, prenait possession de zones de plus en plus étendues de sa conscience, y gagnait en force, en assurance ; il ne pouvait plus avoir d’attention que pour elle et se reposait en elle l’effort fourni pour la saisir davantage ; il laissait opérer l’architecture sonore ; elle l’emportait, l’entourait, bâtissant autour de lui un refuge sans étendue, l’apaisant de tout, le calmait par sa grâce fraîche de petits matins froufroutants. A peine regrettait-il un manque indéfinissable, peut-être la présence tactile des sons.…
Peu à peu la gêne l’envahissait. Il perdait progressivement la nécessité du retour des sons, l’architecture ne tenait plus, se délitait ; ces sons maintenant trop présents l’étonnaient ; chacun, bientôt hurlé, s’empâtait de sa répétition, perdait de sa pureté, s’épanchait sur les autres, brisait l’harmonie, le brisait, étouffait l’existence de la musique, l’étouffait, la beauté avortait… Il voulait alors fuir…
(La chaude et douçâtre humidité enveloppait les villes flottantes)
C’est alors qu’il voudrait fuir, mais la route est lancée. Il tentait d’échapper à cette absurdité mais tout ce qu’il parvenait à trouver dans sa fuite, c’était le souvenir dérisoire de l’effort consenti pour en arriver là.…
AOI