Me voici présentant — aux antipodes de mon travail — les œuvres d’Albert Chubac. J’ai écrit jadis que pour un plasticien, s’exprimer à propos d’une autre pratique plastique, c’est d’abord tenter d’élucider sa propre démarche. Toutefois, — pour ne référer qu’aux derniers prétextes à réflexion— je remarque que de Carmelo Arden-Quin à Jean-François Dubreuil ou Pascal Mahou, de Max Charvolen à Pignon Ernest, de Michèle Brondello à Jacques Villeglé ou, enfin, Albert Chubac, ce sont plutôt ceux qui s’éloignent, s’individualisent, et donc sont les moins capables d’une ressemblance à mon projet, qui m’ont davantage attiré. Ceux qui ne sont pas inscrits dans un courant, un mouvement défini, ou alors n’en frôlent que la marge extrême. Et pour en revenir à mon propos actuel — Albert Chubac— je dirais que lui aussi ne s’assimile à aucun groupe, qu’il n’est en fin de compte totalement soluble en aucun mouvement pictural.
Peintre ou sculpteur, Albert Chubac ? Qu’on l’écoute parler de ses œuvres, on l’entend modestement dire : mes "petits" collages, mes "bricoles", mes "objets", l’une de mes "choses". Ni peintures, ni sculptures donc ?
Disons tout de même sculpteur.
Sculpteur peut-être, mais alors ce sont les couleurs qu’il sculpte. Ou encore un espace pris dans la parenthèse de ses couleurs, des rapports nets de couleurs pures. Oeuvres gaies, mais d’une gaieté que je dirais mate, (sans effets de miroir ! ), c’est à dire sans illusions. A tous les sens du mot : sans suggérer, derrière, autre chose que ce qui est ce morceau de jaune à côté de ce bloc de rouge, cette roue de bleu ou ce cube orangé, ou encore ce fil ténu qui va de l’un à l’autre élément : propositions austères, au fond, sans dire au-delà de la suffisante et modeste limite d’un pari quotidien.
Cet art, on a souvent pu le dire ludique. A jouer, on pense alors "pour les enfants". Soit, accordons que ce serait pour l’enfance, la nôtre, celle conservée de l’âge adulte, mais sans doute comme l’est ... la mathématique, de la table de multiplication à la résolution des intégrales.
Art austère donc, avec ses couleurs lumineuses ; et rigoureux, tant il est vrai que parvenir à ce dépouillement nécessite élaboration en un parcours complexe. Cinquante ans de "bricolages" et de contemplation, pour aboutir à ce dépouillement, ce déséquilibre qui au dernier instant du regard se rétablit en cette inébranlable stabilité qu’on ne peut plus déplacer que pour permuter au même. Et Robert Pinget, parlant de ses "objets colorés qui refusent de se laisser peindre", a pu écrire à propos d’Albert Chubac : "C’est lui en définitive qui a triomphé de la peinture".